jeudi 20 novembre 2014

Vie et combats de Thomas Sankara

« Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers monde ». Thomas SANKARA, « La liberté se conquiert par la lutte », Discours à l’Assemblée générale des Nations unies, 1984. Investig'Action offre à ses lecteurs un extrait du livre Figures de la révolution africaine de Saïd Bouamama consacré à la figure révolutionnaire de Thomas Sankara.

 

 

Au sommet de l’OUA, en juillet 1987, le président du Faso lance devant ses homologues ébahis un mémorable discours qui restera dans l’histoire comme l’un des plus marquants manifestes contre les dettes injustes et illégitimes :
La dette s’analyse d’abord de par son origine. Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont eux qui nous ont colonisés. Ceux sont les mêmes qui géraient nos États et nos économies […].
La dette, c’est encore le néocolonialisme où les colonialistes se sont transformés en assistants techniques (en fait, nous devrions dire en « assassins techniques »). Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement […]. On nous a présente des dossiers et des montages financiers alléchants. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.
La dette sous sa forme actuelle est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. […]
Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang […].
Quand nous disons que la dette ne saura être payée, ce n’est point que nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. [C’est parce que] nous estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. Entre le riche et le pauvre, il n’y a pas la même morale » .
Moins de trois mois après, Thomas Sankara est assassiné. Il avait prévu cette possibilité en soulignant à Addis-Abeba la nécessite d’un refus collectif du paiement de la dette « pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner ».
Et de prophétiser : « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas la à la prochaine conférence. »

« ON PEUT TUER UN HOMME MAIS PAS DES IDÉES »

Sankara sait de quoi il est question lorsqu’il parle de la dette. L’expérience révolutionnaire du Burkina est menacée par les remboursements de cette dette, dont le poids est devenu insupportable alors que dans le même temps l’aide internationale chute de 25 % et l’aide bilatérale française passe de 88 millions à 19 millions de dollars entre 1982 et 1985 .
Ce cadre de contrainte conduit, des 1983, à une rigueur implacable que Sankara s’applique d’abord à lui-même et à ses proches. Le président du Faso ne dispose que de deux outils pour améliorer les conditions matérielles d’existence des plus démunis et financer le développement autocentré. Le premier est la baisse des dépenses de fonctionnement des services publics. Le second est la mise à contribution des seuls contribuables qui ont un revenu stable, les salariés urbains et en particulier les fonctionnaires. La hausse des cotisations sociales et taxes diverses s’appliquant aux fonctionnaires est constante. Journaliste spécialiste du Burkina Faso, Pascal Labazée estime à 30 % la baisse du pouvoir d’achat des salaires urbains entre 1982 et 1987 .
Petit à petit, les contradictions s’exacerbent entre les fonctionnaires et le pouvoir. Elles sont en outre entretenues par l’opposition. Le Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta (SNEAHV), dont plusieurs dirigeants sont membres du Front patriotique voltaïque, une organisation s’opposant au CNR se fait le porte-parole du mécontentement.
L’arrestation, le 12 mars 1984, de quatre dirigeants de ce syndicat pour « complot contre la sûreté de l’État » entraîne un mot d’ordre de grève pour les 20 et 21 mars. Dès le lendemain, le ministre de la Défense annonce sur les ondes le licenciement des 1 380 enseignants grévistes. La Confédération syndicale burkinabé (CSB), proche du PAI, reste pour sa part plus longtemps fidèle au régime révolutionnaire. Mais, se montrant plus revendicative à partir de 1984, lorsque le PAI rompt avec le CNR, elle est à son tour confrontée à la répression. Son secrétaire général est arrêté, l’accusation d’« anarcho-syndicalisme » entre dans le discours officiel et le président du Faso perd ainsi un de ses alliés les plus anciens et les plus importants. Confronte à cette grave crise sociale, Sankara explique ainsi son dilemme :
"Il y a un choix à faire. Ou bien nous cherchons à contenter les fonctionnaires – ils sont à peu près 25 000, disons 0,3 % de la population –, ou bien nous cherchons à nous occuper de tous ces autres qui ne peuvent même pas avoir un comprimé de nivaquine ou d’aspirine et qui meurent simplement quand ils sont malades" .
Si l’on peut comprendre que la priorité de Sankara aille à la seconde catégorie, la question du rythme des changements est plus discutable. Pour évaluer ce rythme, il manque au président du Faso un outil de liaison politique permanent avec les différents secteurs sociaux des classes populaires. La division des organisations politiques de gauche les empêche de jouer cette fonction politique. Sankara ne ménage pas ses efforts pour les faire converger mais, comme il l’explique en 1984, il ne veut pas reproduire les erreurs d’autres expériences révolutionnaires africaines :
"Nous pourrions, bien sûr, créer un parti tout de suite […]. Mais nous ne tenons pas à calquer, à reproduire ici naïvement, et d’une manière plutôt burlesque, ce qui a pu se faire ailleurs. Ce que nous aimerions, c’est d’abord tirer profit des expériences des autres peuples. […] Nous ne voulons pas qu’elle [l’organisation] s’impose de manière dictatoriale ou bureaucratique, comme cela a pu se passer ailleurs… Il faut qu’elle soit […] l’émanation d’un désir populaire profond, d’un vœu réel, d’une exigence populaire" .
Les CDR de leur côté ne peuvent pas non plus assurer cette fonction politique. Ce sont les militaires qui héritent dès le début du secrétariat général des CDR. Le capitaine d’aviation Pierre Ouedraogo, « un des amis de Sankara issus du cercle politique de la première heure » ( ), est nommé secrétaire général national des CDR. Il impulse une logique du changement « par en haut » tendant ainsi à transformer ces structures censées être de « démocratie directe » en simple « courroie de transmission ». Plus grave, les CDR sont instrumentalisés au service de la lutte au sein du CNR.
« Ainsi, résume Bruno Jaffré, les CDR ont incontestablement joué un rôle répressif en procédant à des arrestations arbitraires souvent sur ordre du secrétariat général des CDR. Ils ont aussi participé aux différentes offensives qui ont eu lieu contre les syndicats et servi de masse de manœuvre dans la sourde bataille que se livraient les différentes factions politiques pour le contrôle du pouvoir note. »
Les interventions du président du Faso en avril 1986, lors de la première conférence nationale des CDR, soulignent son inquiétude sur les nombreuses dérives de ces organismes. Il y dénonce certains CDR qui « deviennent de véritables terreurs pour les directeurs », épingle ceux qui « arborent tout un arsenal d’armes » et utilisent la menace et condamne ceux qui « ont fait des choses exécrables » et qui « ont profité de la patrouille pour piller note ».
Dans de nombreux villages, les CDR ne jouent pas non plus le rôle prévu et leurs élus sont soit les notables traditionnels, soit des hommes à leur service. Analysant l’évolution du pouvoir local villageois dans l’Ouest burkinabé, le sociologue Alfred Schwartz conclut à la continuité réelle sous l’apparence du changement, c’est-à-dire « à une subordination de fait du pouvoir “révolutionnaire” au pouvoir coutumier note ».
L’ampleur des changements effectués, le rythme intensif avec lequel les réformes sont menées, l’importance des efforts demandes, les rancœurs que suscitent ces bouleversements et l’absence d’élections toujours inquiétante dans un pays qui se revendique du « peuple » tendent à se coaguler pour nourrir une opposition diffuse qui gagne en audience et à reléguer au second plan les améliorations pourtant palpables pour la grande majorité. Quelques mois avant son assassinat, Sankara semble pourtant avoir acquis une vision plus réaliste de la situation. Dans son discours célébrant le quatrième anniversaire de la révolution, le 4 août 1987, il appelle à une pause des reformes afin « de tirer les leçons et enseignements de notre action passée pour […] nous engager davantage dans la lutte de façon organisée, plus scientifique et plus résolue » .
Sankara semble lui-même quelque peu dépasse par les événements, comme il le reconnaît avec humilité dans une interview télévisée :
« Je me retrouve un peu comme un cycliste qui grimpe une pente raide et qui a, à gauche et à droite, deux précipices. […] Pour rester moi-même, pour me sentir moi-même, je suis obligé de continuer dans cette lancée … »
Ces contradictions internes sont attentivement scrutées par les multiples adversaires extérieurs du régime sankariste. Du pouvoir malien, secoue par des agitations lycéennes et étudiantes en décembre 1985 et qui déclenche une nouvelle guerre contre le Burkina dans cette période, à celui de la Côte-d’Ivoire qui accueille les opposants burkinabé, nombreux sont les dirigeants des pays limitrophes que gène le bouillant président du Faso. La France, ancienne puissance coloniale, craint pour sa part ce dirigeant qui condamne ouvertement le franc CFA comme « une arme de la domination française » et la Francophonie comme « une stratégie néocolonialiste » .
Et qui, en plus de boycotter le sommet franco-africain de Lomé (novembre 1986), n’hésite pas à critiquer publiquement François Mitterrand. C’est le cas notamment lors de la visite officielle de ce dernier au Burkina Faso, en novembre 1986, lorsque Sankara critique, dans un style offensif qui rappelle le « non » de Sékou Touré à de Gaulle en 1958, la récente visite du président sud-africain Pieter Botha en France :
Nous n’avons pas compris comment des bandits comme [le guérillero angolais] Jonas Savimbi [et] des tueurs comme [le président sud-africain] Pieter Botha ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours.
Certes, personne ne peut encore dire de manière certaine qui sont les commanditaires de l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987, lors du coup d’État qui permet à Blaise Compaoré de prendre le pouvoir. En revanche, la question que Sankara lui-même posait à propos de l’assassinat du président mozambicain Samora Machel, décédé en octobre 1986 dans un accident d’avion, est pertinente dans son propre cas :
« Pour savoir qui a tué Samora Machel, demandons-nous qui se réjouit et qui a intérêt à ce que Machel ait été tué. » ( ) On ne peut alors que constater que la mort de Sankara et la politique de « rectification » lancée par Compaoré ont permit au système « françafricain », qui n’a cessé de se reproduire depuis les indépendances de 1960 (voir chapitre 6), de reprendre la main sur un pays qui risquait, sous l’impulsion de son révolutionnaire chef d’État, d’emmener ses voisins sur les chemins de l’insoumission.
Les causes qui ont fait émerger la révolution sankariste, à savoir l’oppression, l’exploitation et l’injustice, n’ayant pas disparu, il est peu probable que les principes que Sankara a tenté de mettre en pratique se perdent dans l’oubli. « On peut tuer un homme mais pas des idées », aimait-il lui-même à répéter.
Extrait du livre "Figures de la libération africaine. De Kenyatta à Sankara", Saïd Bouamama, Paris Zones, 2014.

mercredi 12 novembre 2014

Total et de Margerie : du pétrole et du gaz couleur de sang

La mort de Christophe de Margerie, Président Directeur Général du groupe Total, survenue le 20 octobre 2014 dans un accident d’avion, a été l’occasion d’un concert quasi-unanime de louanges pour l’homme et pour la multinationale qu’il dirigeait. C’est l’occasion pour nous de nous arrêter sur les activités de ce groupe, avant et pendant la présidence de Monsieur de Margerie. C’est également le prétexte que nous saisissons pour revenir sur quelques concepts de base ignorés du discours journalistique : impérialisme, capital financier, etc. Au-delà de la désinformation médiatique mais nous basant sur ces concepts ainsi que sur quelques faits précis, le pétrole et le gaz de Total apparaissent singulièrement tachés du sang des victimes de l’impérialisme français.

« Chaque goutte de pétrole est une goutte de sang »
Clémenceau

L’héritage de Total

A entendre nos médias classiques, les louanges à l’égard de Christophe de Margerie sont quasi-unanimes. François Hollande souligne qu’il « défendait avec talent l’excellence et la réussite de la technologie française à l’étranger (1) ». Manuel Valls, Emmanuel Macron et Jean Pierre Chevènement le qualifie de « grand capitaine d’industrie (2) ». Des propos similaires sont tenus à droite par Nicolas Sarkozy, par exemple, qui considère le PDG de Total comme « un homme qui avait apprivoisé la mondialisation (3) » ou au MEDEF par Pierre Gattaz qui salue « le visionnaire (4) », etc.
En prenant la direction du Groupe Total en 2007, Christophe de Margerie a pris la tête d’une multinationale déjà riche d’une longue histoire qu’il n’est pas inutile de rappeler. L’ancêtre de Total est la Compagnie Française de Pétrole créée en 1924 pour l’exploitation du pétrole du Moyen-Orient, qui diversifie progressivement ses activités en les étendant au gaz mais aussi au raffinage, à la distribution et à la chimie, et s’implante dans plus de 130 pays. La Compagnie devient Total-CFP en 1985, puis Total en 1991, Totalfina en 1999 après sa fusion avec Pétrofina et enfin Total-Fina-Elf après fusion avec Elf Aquitaine. La multinationale française fait partie des « majors » c’est-à-dire des six plus grandes compagnies pétrolières privées mondiales. Avec un chiffre d’affaires de 288,88 milliards de dollars et un bénéfice de 11, 20 milliards de dollars en 2013, elle est classée onzième dans le classement des 500 entreprises les plus importantes du magazine Fortune (5). Mais l’héritage de Total ne se limite pas à ces chiffres impressionnants. Il se trouve également dans des événements politiques auxquels Total a été mêlé. Donnons quelques exemples de cet héritage politique en commençant par l’attitude du groupe envers les régimes racistes d’Afrique du Sud et de Rhodésie.
La CFP est présente en Afrique du Sud depuis 1956. Devenue Total-CFP en 1989, la multinationale a des intérêts dans le pays du racisme officiel, dans les secteurs des mines, du charbon, de l’énergie solaire, des chemins de fer, de la distribution d’essence avec un réseau de 700 stations, etc. Elle est en outre fournisseuse de l’armée et de la police sud-africaine. Elle collabore au régime de l’apartheid jusqu’à la chute de celui-ci en lui permettant de contourner l’embargo pétrolier décidé par l’ONU en 1977.
« Les pipe-lines secrets sud-africains transportent bien du pétrole à l’aller, souligne Franck Teruel en 1989, au retour, ils amènent de l’uranium à Pierrelatte via Marseille. Ceci expliquant cela : l’Afrique du sud n’a jamais manqué de pétrole (6) ». Les associations anti-apartheid ciblent directement le groupe Total au cours de la décennie 80. En 1986, Sophie Passebois intitule un dossier spécial d’un titre éloquent : Total : le carburant de l’apartheid (7). Une vingtaine d’associations lancent à la même période une campagne intitulée « Pour le retrait de Total d’Afrique du Sud et de Namibie », dont le texte d’appel précise : « L’Afrique du Sud n’a pas de pétrole : c’est son « talon d’Achille ». Soumise à un embargo pétrolier, elle a besoin de la complicité des compagnies pétrolières occidentales comme Total (8). »
Les profits de Total de cette période sont liés aux crimes de l’apartheid en Afrique du Sud et en Rhodésie.
Au Cameroun, c’est la racine « Elf » de la multinationale que nous retrouvons en action dans la décennie 70. L’assassinat d’Um Nyobe par l’armée française a permis la transition vers un régime néocolonial entièrement inféodé à Paris. Le président Hamadou Ahidjo soutenu par Paris met en œuvre une répression sanglante de 1961 à 1971. La société Elf contrôle le secteur pétrolier et assure un soutien indéfectible au dictateur. « Elf Aquitaine, fauteur de fascisme (9) » titre l’écrivain camerounais Mongo Beti. Le successeur d’Ahidjo, Paul Biya, est aussi porté à bout de bras par la multinationale française. L’ancien directeur des « affaires générales » d’Elf le reconnaît lui-même :
« Un jour, j’étais reçu à la présidence camerounaise par le président Paul Biya. Il avait besoin de 45 millions pour sa campagne. J’étais seul avec lui, ces gars-là, ils ne font confiance à personne. Ils ont besoin de cash et ils ont besoin que ce cash échappe à leur ministre des Finances. C’est pour cela que le groupe Elf monte des off-shore qui échappent à tout contrôle (10) »
La situation est similaire en République du Congo où Sassou-Nguesso est porté à bout de bras par la multinationale. Ce dictateur ne doit son retour au pouvoir en 1997 qu’à une guerre civile de quatre mois entièrement financée par le groupe pétro-gazier. Le journaliste belge David Servenay affirme aussi que « les hommes d’Elf ont financés des trafics d’armes au Congo-Brazzaville (11) ». Le président d’honneur de la fédération des Ligues des Droits de l’Homme est encore plus explicite : « Le pétrole a bâillonné la démocratie. La société Elf, devenue Total, avec l’entier appui complice des autorités françaises, a manœuvré en coulisse pour s’assurer la mise en place d’un pouvoir congolais aussi bienveillant que compromis (12) ». Nous aurions pu également citer la guerre du Biafra et le soutien actif d’Elf à la rébellion (13) ou le Gabon d’Omar Bongo (14)
Au Cameroun, au Congo, au Nigeria ou au Gabon, comme dans beaucoup d’autres pays africains, Total est un faiseur de dictatures et de dictateurs.

La continuité de Christophe de Margerie

La présidence de Christophe de Margerie reste dans la continuité des pratiques antérieures de la CFP et d’Elf. Le soutien à la junte birmane commence avant de Marjorie mais se poursuit avec lui. La junte militaire était pourtant critiquée par l’Organisation Internationale du Travail en 2000 pour la pratique du travail forcé caractérisé comme « une forme contemporaine d’esclavage (15) ». La multinationale est présente en Birmanie depuis la signature en 1992 d’un contrat pour l’exploitation de la nappe de gaz du golfe de Martaban. Elle est également le principal investisseur du pays avec 31,24 % du total des investissements (16). Le groupe pétro-gazier ne nie même pas l’existence de travail forcé à son profit. Le président de son « comité d’éthique » déclare cyniquement en 2001 : « Lorsqu’un cas de travail forcé est porté à notre connaissance, nous nous efforçons d’apporter une compensation (17) ». Avec de Marjorie, la présence de Total se renforce encore. Le 3 septembre 2012, le groupe annonçait « avoir acquis 40 % dans un bloc d’exploration d’hydrocarbures au large de la Birmanie (18) ».
Pourtant le même déclarait en 2007 que « Total ne se retirerait pas de Birmanie » mais « qu’investir dans ce pays aujourd’hui serait une provocation (19). » Il est vrai que, depuis 2011, le gouvernement birman s’est donné une apparence plus présentable par la mise en place d’un « gouvernement civil ». Les militaires continuent d’occuper 25 % des sièges du parlement et de contrôler les secteurs clefs de l’économie. Les profits de Total avant et après la nomination de Christophe de Margerie sentent aussi l’esclavage contemporain.
Au Nigeria, Total développent ses activités par l’expulsion de plusieurs dizaines de milliers de paysans de la communauté EGI de leurs terres dans l’État Rivers (20). Le groupe pétrolier a d’ailleurs été nominé en 2014 par un collectif d’ONG pour le prix Pinocchio avec le commentaire suivant : « Au Nigeria, Total a réussi à imposer son empire en divisant les communautés locales et en multipliant les programmes « RSE », pour mieux cacher le désastre environnemental et l’accaparement de terres que provoquent ses projets pétroliers et gaziers (21). » Le prix est décerné à l’entreprise ayant mené la politique la plus agressive en termes d’appropriation, de surexploitation ou de destruction des ressources naturelles. Le groupe pétrolier peut se targuer d’être souvent nominé. Ainsi en 2008, il l’était dans la catégorie « mains sales poches pleines » et « plus vert que vert » et, en 2009, dans la catégorie « « Une pour tous, tous pour moi » et « mains sales poches pleines ». Total, sous la direction de Christophe de Margerie, doit une partie de ses profits à l’expulsion des paysans de leurs terres comme au temps béni des colonies.
Pour sa part, la précipitation du gouvernement français à intervenir en Libye ne peut pas ne pas être mise en lien avec les résultats de la guerre : « Qui était parmi les tout premiers Français à venir début mars à Benghazi encourager les insurgés libyens ? Un représentant de Total. Et l’entreprise peut aujourd’hui se frotter les mains : l’empressement de l’Elysée à reconnaître le CNT, comme à défendre l’intervention militaire, a fait rentrer le groupe dans les bonnes grâces du futur régime » fait justement remarqué le Journal l’Humanité du 24 août 2011.
Le ministre des Affaires Etrangères de l’époque était d’ailleurs limpide sur les réels buts de guerre : « On nous dit que cette opération en Libye coûte cher, mais c’est aussi un investissement pour l’avenir (22). » Enfin le journal Libération se faisait l’écho dans son édition du premier septembre 2011 (23) d’une lettre du Conseil National de transition promettant 35 % du brut libyen à l’État français.
Un pays plongé dans le chaos total et au moins 60 000 morts, voilà le coût des intérêts de Total sous la direction de de Margerie en Libye.
Arrêtons là l’énumération. Nous aurions pu souligner la coïncidence entre la découverte dans le bassin de Taoudenni (Chevauchant l’Algérie, la Maurétanie et le Mali) d’importantes réserves de pétrole et l’intervention française au Mali ou encore la coïncidence entre des contrats signés avec la Chine pour l’exploitation du pétrole centrafricain et l’intervention française dans ce pays. Le journal Le Canard Déchaîné commente ainsi la coïncidence malienne :
« Mais à en croire une source, généralement dans le secret des dieux, le Groupe français, Total, serait en train d’explorer les bassins pétroliers de Taoudéni. Avec « l’autorisation » des autorités maliennes. Du côté du ministère des Mines, le silence est assourdissant. Jugée gênante, la question est balayée du revers de la main.
Partout, la réponse, le même refrain : « Nous ne sommes pas au courant ! ».
Intervenue, militairement, le 11 janvier 2012, pour stopper l’avancée des djihadistes vers le sud, la France se voit attribuer des licences d’exploration, voire d’exploitation, du bassin pétrolier de Taoudéni. Sans débourser le moindre euro. Contrairement aux multinationales dûment mandatées. Et, plus grave, sans en informer les Maliens, propriétaires légitimes de ces gisements. On ne regrette d’avoir choisi la France que lorsqu’il est trop tard !! (24) »
Encore un malien adepte de la théorie du complot, diront les faiseurs d’opinions.

Questions de vocabulaire

Bien sûr Christophe de Margerie n’est pas le cœur du problème. Il n’était qu’un outil compétent au service d’intérêts plus puissants : ceux des actionnaires du groupe Total. Regardons donc de plus près le groupe et ses actionnaires. Il suffit de se souvenir des noms successifs du groupe pétrolier pour saisir le caractère monopolistique de Total. Les fusions successives avec Elf-Aquitaine et avec Pétrofina encouragées par l’État mettent le groupe Total en situation de monopole pour le secteur pétro-gazier français avec, pour l’année 2013, 104 milliards d’euros de capitalisation boursière (première capitalisation du CAC 40), un chiffre d’affaires de 189,542 milliards d’euros et un résultat de 8,44 milliards d’euros (25). La première caractéristique du groupe Total est bien son caractère monopolistique.
Regardons maintenant du côté des actionnaires. Rappelons que la création de la Compagnie Française de Pétrole (CFP), l’ancêtre de Total en 1924, est le fait de la Banque de Paris et des Pays Bas (elle-même ancêtre de l’actuelle BNP-Paribas) qui deviendra ultérieurement Paribas. La première banque française est à la fois un des leaders au monde du négoce de matières premières, et en particulier de pétrole et de gaz, et un partenaire privilégié de Total. Pour entrer dans son capital, le groupe Total conseille aux candidats de s’adresser à son « établissement financier mandataire, BNP Paribas Securities Services (26) ».C’est cette banque que Total mandate lorsqu’elle veut acheter ou vendre un gisement comme en septembre dernier pour la vente du gisement nigérian d’Usan (27).
Les intérêts des deux géants sont indissociables et illustrent ce qu’Hilferding et Lénine appelaient déjà le capital financier c’est-à-dire la « fusion ou l’interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion (28) ». La première caractéristique du capital de Total est bien d’être un capital financier.
Quant aux profits de Total, ils avoisinent des sommets depuis de nombreuses années : 13,9 milliards d’euros en 2008, 7,8 milliards en 2009, 10,28 milliards en 2010, 12,3 milliards en 2011, 10,7 milliards en 2012. L’utilisation de ces superprofits est elle-même significative. Total a reversé 34 milliards d’euros à ses actionnaires entre 2005 et 2010, soit en moyenne 45 % de ses bénéfices. En outre, le groupe ne paye aucun impôt sur les sociétés en France en 2010 et seulement 900 milliards en 2013. Que ce soit au niveau des montants des profits ou de leurs taux, c’est bien l’exigence d’un profit maximum que posent les actionnaires.
Monopole, capital financier et profit maximum, ces trois caractéristiques ressemblent étrangement à ce que Lénine appelait : l’impérialisme. Il est vrai que l’offensive idéologique des classes dominantes pousse à l’invention d’une novlangue libérale reprise en écho et en chœur par les journalistes des médias traditionnels : classe sociale devient catégorie sociale, conquête sociale se transforme en acquis sociaux et le gestionnaire de l’impérialisme qu’était de Margerie se mute en « capitaine d’industrie ».
Christophe de Margerie n’éveille en nous aucune compassion. Nous assumons de réserver notre tristesse et nos pensées aux multiples victimes de la course effrénée aux profits suscitant les guerres du gaz et du pétrole qui se succèdent les unes aux autres.

Notes :
1) François Hollande, communiqué de la présidence, AFP du 21 octobre 2014.
2) Manuel Valls, communiqué du premier ministre du 21 octobre 2014 ; Emmanuel Macron sur France 2 du 21-10-2014 ; Jean Pierre Chevènement à l’AFP le 21 octobre 2014.
3) Nicolas Sarkozy, BFM-TV du 21 octobre 2014.
4) Pierre Gattaz, communiqué du Medef du 21 octobre 2014.
5) La Tribune du 8 Juillet 2014.
6) Franck Teruel, Les Pipe-lines secrets, in apartheid : anatomie d’un crime d’État, Différences revue du MRAP, n° spécial apartheid, décembre 1989, p.44.
7) Sophie Passebois, Total : Le carburant de l’apartheid,Apartheid Non, N° 64, 1986.
8) Dépliant de la Campagne nationale pour le retrait de Total-CFP d’Afrique du Sud et de Namibie.
9) Mongo Beti, Lila Chouli, Mongo Beti à Yaoundé, Peuples Noirs, Paris, 2005, p. 315.
10) Alfred Sirven, Pasquac’estFouché, Bakchich, 4 août 2008.
11) David Servenay, Le soir de Bruxelles du 20 mars 2001.
12) Patrick Baudouin, préface au livre de Yitzhak Koula, Pétrole et violences au Congo-Brazzaville : les suites de l’affaire Elf, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 5.
13) François-Xavier Vershave, Chapitre Biafra pétrolo-humanitaire, La Françafrique : le plus long scandale de la République, Stock, Paris, 1998, pp. 137-153.
14) Pierre Péan, Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon, Fayard, Paris, 2014.
15) BIT Genève, rapport du directeur général, exécution du programme de l’OIT 2002-2003, Genève, 2004, p. 93 et 94
16) Jean claudePomonti, Le monde du 16 novembre 1996.
17) Erich Inciyan et Jean-Claude Pomonti, Kouchner, Total et la Birmanie, Le Monde du 6 janvier 2004.
18) Dépêche de l’AFP du 3 septembre 2012.
19) Christophe de Marjorie, entretien au Monde du 6 octobre 2007.
20) Jean-Philippe Demont-Pierot, Total(e) impunité, Respublica, Paris, 2010. p. 163.
21) Prix Pinochio, Livret de présentation des cas 2014, p. 4.
22) Alain Juppé, déclaration sur RTL, premier septembre 2011.
23) Vittorio de Fillipis, L’accord secret entre le CNT et la France, Libération du premier septembre 2011.
24) Oumar Babi, La France exploite-t-elle le bassin du Taoudéni ?, Le Canard Déchainé du 22 octobre 2014.
25) Consultable sur le site de Total : http://www.total.com/fr/groupe/vue-...
26) Total, Marche à suivre pour devenir actionnaire de Total, consultable sur le site de Total : http://www.total.com/fr/actionnaire...
27) Reuter France du 16 septembre 2014.
28) Lénine, L’impérialisme stade suprême du capitalisme, éditions sociales, Paris, 1969, p. 58.
Source : Investig’Action

« Aucun pays africain ne peut être Emergent avec le franc CFA »

Du 9 au 16 avril 2014, l’auteur du livre à succès Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique a donné, au Cameroun, une série de conférences sur les méfaits du franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA). Le Pr. Agbohou s’est rendu au Cameroun à l’invitation de l’association Action Sociale Africaine (ASA) qui œuvre depuis 2007 sur le continent pour l’amélioration des conditions de vie des Africains à travers trois axes prioritaires : la Santé, l’Agriculture/Alimentation et l’Education. Grâce à ASA qui a déjà installé trois bibliothèques au Cameroun, l’économiste ivoirien a donné trois conférences très courues dans toutes les principales universités de ce pays d’Afrique centrale (Douala, Dschang, Yaoundé). Cette interview a été réalisée à l’issue de ce périple. Le professeur Nicolas Agbohou y affirme sans ambages que le franc CFA plombe irrémédiablement l’économie des 15 pays africains qui utilisent cette monnaie de singe. Il explique le mécanisme du compte d’opérations et propose les solutions réalistes pour parvenir à la souveraineté monétaire de l’Afrique.

Journal de l’Afrique (JDA) : Qu’est-ce qui vous motive à parcourir le monde pour dénoncer les méfaits du franc CFA dans les économies africaines ?
Nicolas Agbohou : Plusieurs raisons : D’abord, je suis un Africain et en tant que tel je me sens interpellé par les problèmes de l’Afrique. Ensuite, je vois objectivement le danger qui arrive. Dans 36 ans, en 2050, l’Afrique aura 2 milliards d’habitants à nourrir. Il faut préparer la vie de ces 2 milliards de personnes. En d’autres termes, il faut changer de politique économique.
Or nous ne pouvons pas faire une politique économique sans la maîtrise de la monnaie. Donc, conscient de ce problème, je me suis appesanti sur le Franc CFA et après étude je me suis rendu compte que « franc CFA » voulait tout simplement dire « franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) ».
Pour continuer à piller l’Afrique après les indépendances formelles de 1960, le colon français a redéfini le franc CFA comme : le « franc de la Communauté Française d’Afrique). Mais c’est un simple maquillage !
Pourquoi estimez-vous dans votre livre que Le Franc CFA et l’Euro [sont] contre l’Afrique ?
Tout simplement parce que le franc CFA est d’origine nazie. Il s’agit d’un mécanisme mis sur pied pour permettre à la France de tirer profit non seulement des richesses naturelles, mais aussi du travail des Africains. Le franc CFA a été crée le 25 décembre 1945, conformément à l’article 3 du décret 45/0136 par le général De Gaulle. Et le franc CFA qui veut dire le franc des Colonies françaises d’Afrique est une monnaie purement coloniale inventée par et pour les intérêts des colons pour dévaster l’Afrique. La survivance du franc CFA n’est que la perpétuation de cet appauvrissement.
Il y a 30 ans, l’économiste camerounais Joseph Tchuidjang Pouemi dans son livre intitulé Monnaie, servitude et liberté, affirmait déjà que le franc CFA n’est qu’un instrument de « répression monétaire de l’Afrique ». A votre avis cette répression monétaire a-t-elle toujours cours ?
Elle a toujours cours ; car lorsqu’on regarde les institutions de la zone franc CFA, notamment le conseil d’administration des trois banques centrales, on voit que les Français y sont présents et disposent du droit de véto. Autrement dit ce n’est pas son utilisation qui fait problème, mais le franc CFA lui-même.
Son fonctionnement appartient à la France qui l’utilise pour ses propres intérêts et donc contre les intérêts des Africains. Aussi bien à la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) qu’à la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qu’à la Banque centrale des Comores (BCC), la France nomme des représentants qui disposent d’un droit de véto.
Autrement dit, si les Africains présents aux conseils d’administration de ces différentes banques décident de prendre des décisions qui défendent les intérêts de l’Afrique en touchant aux intérêts de la France, ces décisions ne pourront pas être validées puisque les Français voteront « contre ». Ce d’autant plus qu’il est clairement mentionné dans les textes régissant ces trois banques centrales que « les décisions se prennent à l’unanimité ».
Lorsqu’on parle du franc CFA, on évoque toujours le mécanisme du « compte d’opérations ». De quoi s’agit-il exactement ?
La zone franc CFA a quatre principes de fonctionnement :
1-La centralisation des réserves de changes qu’on appelle le compte d’opérations. 2-Le principe de la libre convertibilité des francs CFA en francs français hier et aujourd’hui en Euros. 3- Le principe de la fixité des parités. 4- Le principe de la libre transférabilité des capitaux de la zone franc CFA vers la France.
En ce qui est du compte d’opérations, disons qu’il est d’inspiration nazi. Il a été appliqué à la France par les nazis et après la Libération, le général De Gaulle a décidé de l’appliquer aux Africains depuis 1945. Conformément aux accords monétaires entre la France et l’Afrique, le principe de la centralité des réserves des changes fonctionne de la manière suivante les Africains doivent déposer, et ils le déposent effectivement, l’intégralité de leurs recettes d’exportation dans des comptes ouverts à la banque centrale de France.
De 1945 à 1973, quand les Africains exportaient par exemple les matières premières pour 100 milliards de dollars, ils déposaient tous les 100 milliards de dollars dans le Trésor français. De 1973 jusqu’en 2005, s’ils exportaient pour 100 milliards de dollars, les Africains étaient obligés de déposer 65 milliards au Trésor français dans le fameux compte d’opérations.
Depuis le 20 septembre 2005 jusqu’à la seconde où nous parlons (2014), on est passé à 50%. Ce qui veut dire que si les Africains exportent à hauteur de 100 milliards de dollars ou d’Euros, de Yuans, etc. ils sont tenus de déposer 50 milliards en France. S’en suivent plusieurs conséquences majeures :
Première conséquence majeure. Puisque le compte d’opérations est d’origine nazie, la France s’en est servie et s’en sert encore pour s’approvisionner gratuitement en matières premières africaines.
C’est-à-dire que la France dit aux Africains d’exporter les matières premières dont elle a besoin pour 100 millions d’euros par exemple. Lorsque les Africains ont exporté, au lieu de les payer, la France prend son stylo et écrit un signe PLUS dans le compte. Elle ne débourse aucune devise. Or si ce sont les Nigérians ou les Ghanéens qui exportent, la France est obligée de sortir 100 millions d’euros des coffres forts pour les payer.
Ce qui revient à dire que le jour où les Africains vont se débarrasser du franc CFA, la France sera obligée de débourser de l’argent pour payer directement et immédiatement l’intégralité de la facture des exportations.
Deuxième conséquence majeure. Puisque les Africains déposent des devises en France, celle-ci s’en sert pour combler son déficit budgétaire ou pour amortir, c’est-à-dire payer sa dette.
Troisième conséquence majeure. En contrôlant leurs devises, la France met les dirigeants africains au pas. Si un dirigeant de la zone CFA n’obéit plus aux ordres de la France, Paris bloque ses réserves de devises et mieux, il ferme les banques dans ce pays devenu « rebelle ». C’est ce que nous avons vu tout récemment en Côte-d’Ivoire avec Laurent Gbagbo. Et quand les banques sont fermées, aucun ménage, aucun chef d’entreprise ne peut sortir de l’argent pour nourrir sa famille ou payer les employés. En un mot, en fermant les banques, la France organise le chaos socio-économique. Et toute la population se rebelle contre le dirigeant.
C’est ce qui s’est passé avec Gbagbo. Ne pouvant plus prendre des devises à la France, il a décidé de créer la monnaie ivoirienne et à partir de là la décision a été prise pour le bombarder. Gbagbo n’est pas le premier et ne sera malheureusement pas le dernier. Avant lui, il y a eu Sylvanus Olympio du Togo dont la monnaie devrait être mise en circulation le 15 décembre 1963. Deux jours avant, exactement le 13 janvier 1963, il a été froidement assassiné.
Donc ces trois conséquences majeures ou plutôt ces trois avantages pour la France à savoir l’approvisionnement gratuit en matières premières africaines, l’utilisation des devises africaines pour son propre développement, une arme de mise au pas des dirigeants africains, constituent un puissant instrument utilisé par la France pour bloquer l’industrialisation de l’Afrique.
Au regard de tout ce que vous venez de dire on peut conclure que l’Emergence annoncée par les présidents africains relève d’une simple propagande politicienne…
Il s’agit d’une simple chimère. Aucun pays ne peut être émergent avec le franc CFA.
Quand vous quittez votre quartier pour allez en zone périphérique parce que vous touchez 100 000 F CFA et que vous êtes entrés dans une association qui vous prend 50 000 F CFA chaque fin du mois vous pensez raisonnablement que vous quitterez subitement ce quartier de pauvres pour entrer dans le quartier des riches ? Non. Tant que les pays africains continueront à payer un« impôt » de 50% de leurs revenus extérieurs à la France, l’émergence socio-économique ne sera jamais possible.
En 2013, dans un rapport commandé par le gouvernement de son pays, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine a proposé l’élargissement de la zone franc CFA à d’autres pays africains. Comment percevez-vous un tel projet et quelles en sont les chances de réussite ?
Disons qu’Hubert Védrine est dans son rôle puisque c’est celui qui contrôle la monnaie qui contrôle le pays. Ainsi, s’il y a 15 pays africains qui utilisent le franc CFA, ces pays sont tous sous le contrôle de la France. Et s’il y a d’autres pays qui, parce que mal informés entrent dans la zone CFA, ce sera une très bonne chose pour la France. C’est pourquoi M. Védrine invite les Nigérians, les Ghanéens et d’autres pays à entrer dans la zone CFA pour justement mieux les contrôler et prendre leurs énormes richesses. N’oubliez-pas que lorsque ces pays vont entrer dans la zone CFA, ils seront obligés de donner 50% de leurs énormes richesses à la France. On voit bien que le Nigéria n’est pas dans la zone CFA mais se porte mieux. Ce n’est pas au Nigéria que l’on meurt de faim ! Une fois de plus, Hubert Védrine est dans son rôle. Et il revient aux Africains de ne plus se laisser tromper.
Les pays africains qui n’ont pas le même niveau économique peuvent-ils avoir une monnaie commune ? Effectivement ils le peuvent parce que c’est la monnaie qui fait créer la richesse. Ce qui fait rouler la voiture c’est le carburant. Le carburant lui-même n’est pas la voiture. Mais c’est un produit indispensable qui fait rouler la voiture. Donc les pays africains, développés ou non développés peuvent avoir une monnaie commune. La monnaie est une pièce centrale dans le triangle de souveraineté. Vous avez la monnaie/économie, la défense et le droit positif qui constituent les angles de ce triangle de souveraineté.
Comment expliquez-vous la relative avancée économique des anciennes colonies anglaises sur le continent africain ?
Justement, ces pays travaillent pour eux-mêmes. Contrairement aux pays de la zone franc CFA, les pays anglophones ne travaillent pas pour l’Angleterre. C’est aussi simple que ça ! Les pays anglophones sont véritablement libres de l’Angleterre qui est parti après la décolonisation.
Comme vous le constatez très bien à l’échelle planétaire, tous les pays anciennement colonisés par l’Angleterre se portent nettement mieux que ceux de la zone franc CFA. La France n’est jamais partie. Au contraire, au fur et à mesure que le temps passe, la France est omniprésente dans les économies africaines ; toujours avec le même prétexte : « nous sommes là pour aider les Africains ». Et les Africains au lieu de se réveiller ne font que s’endormir…
Le franc CFA est-il la cause de la déliquescence du système éducatif africain qui se caractérise par des effectifs pléthoriques ?
Très bien. L’exemple d’un ménage qui gagne 100 000 F CFA que nous avons pris plus haut est assez illustratif ici. Quand l’Etat se voit privé de 50 % de sa richesse à travers le compte d’opérations, les dépenses sur l’éducation nationale et les hôpitaux diminuent. C’est ce compte d’opérations qui explique les budgets squelettiques de l’éducation nationale dont vous parlez. Au lieu de construire beaucoup d’écoles, l’Etat en construit moins !
Vous comprenez maintenant pourquoi les hôpitaux deviennent des mouroirs en Afrique francophone. Lorsque vous regardez les moyens de transport collectif, les gens sont entassés les uns sur les autres comme des sardines dans une boite de conserve. Ce n’est pas un hasard parce que les moyens importants qui devraient être utilisés pour le transport sont donnés à la France.
Est-ce qu’il vous arrive de parler de ces méfaits du franc CFA avec des hommes d’Etat africains et qu’est-ce qui vous en disent ?
J’ai rencontré quelques dirigeants africains dont Mathieu Kerekou à l’époque président du Benin. Il m’a dit qu’il ne connaissait pas ce système. Il en était totalement ignorant. J’en ai parlé avec le gouverneur de la BCEAO, Konan Banny qui m’a dit qu’il m’invitera pour que je puisse en discuter avec ses collaborateurs. J’ai rencontré Mamadou Koulibaly à l’époque président de l’Assemble nationale de Côte-d’Ivoire. Sans oublier les présidents Laurent Gbagbo et Jacob Zuma. Lorsque j’ai expliqué le fonctionnement du franc CFA au président sud-africain, Jacob Zuma, il n’en revenait pas. Et il a déclaré ceci : « c’est exactement de la colonisation. Car c’est lorsque vous êtes une colonie que vous payez des impôts au pays colonisateur ! ».
La plupart de pouvoir d’Etat obtenu dans la zone franc CFA, vient directement de Paris. Les dirigeants qui sont portés au pouvoir par cette voie là ne peuvent pas se révolter contre leur employeur. On va vous dire démocratie par-ci ; mais vous savez que ne vient pas au pouvoir qui veut. C’est Gbagbo qui a fait l’exception qui confirme la règle. Et on sait comment il a fini !
Comment sortir de cette situation qui a tout l’air d’une impasse monétaire pour les pays de la zone franc CFA ?
En prenant conscience que cette monnaie nuit gravement à leur bien être socio-économique, les Etats africains doivent tout simplement se retirer de la zone CFA. Et en lieu et place, battre une monnaie typiquement africaine, gérée par et pour les intérêts des Africains. Ainsi, les pays africains vont éliminer la France dans leur gestion et toutes les devises qu’ils vont gagner vont rester en Afrique. Elles seront utilisées pour pouvoir importer des équipements dont les Etats africains ont besoin pour s’industrialiser. Ainsi, ils transformeront eux-mêmes les matières premières africaines en Afrique.
Je dois absolument préciser que pour créer une monnaie on a besoin de trois jours. Pas plus. Le premier jour, le gouvernement prend la décision de créer la monnaie et fait un projet de loi qu’il envoie au parlement. Le lendemain, c’est-à-dire de deuxième jour, les parlementaires approuvent. Le troisième jour, on déclenche les machines à l’imprimerie et la monnaie est créée.
Il faut que les Africains se réveillent. Qu’ils comprennent que c’est celui qui domine la monnaie qui domine tout le pays. Il est temps que chaque jeune, où qu’il se trouve s’engage dans ce débat en intégrant le Mouvement pour la Souveraineté économique et Monétaire Africaine (Mosema). Créé en Côte-d’Ivoire, le Mosema installe ses sections partout en Afrique.Nous sommes persuadés que si les jeunes comprennent cela, un moment viendra où ils vont déclencher un mouvement de contestation des institutions de la zone franc CFA simultanément pendant une semaine dans tous les 15 pays de la zone CFA. Ce qui va aider ou contraindre les dirigeants à prendre la bonne décision. Ils vont constater que partout on conteste le franc CFA et ils n’auront plus d’autre choix que de créer une monnaie africaine.
Voulez-vous nous dire que le franc CFA n’est pas une fatalité pour les 15 pays qui l’utilisent depuis tant d’années malgré sa nocivité ?
La force du franc CFA provient de l’ignorance des Africains. Je les comprends. Le franc CFA n’est pas inscrit dans les programmes scolaires et même universitaires.
Mais, dans la vie il faut retenir une chose : c’est l’esclave qui se libère lui-même de son esclavagisme. C’est l’opprimé qui se libère de son oppresseur. La liberté, peu importe qu’elle soit économique ou politique s’arrache. Elle ne se donne pas. Donc il appartient aux Africains de prendre conscience des méfaits du franc CFA et de se révolter pour liquider cette monnaie de singe.
Il n’y a pas de fatalité. Chaque génération à sa lutte. Celle de la génération actuelle est de liquider le franc CFA et de mettre en place une monnaie africaine contrôlée par les Africains et pour les intérêts des Africains. Pour sortir, Je tiens à préciser que pour créer une monnaie, je le répète, il faut trois jours. Pas plus. Le premier jour, le gouvernement prend la décision de créer la monnaie et saisi l’Assemblée nationale à travers un projet de loi. Le deuxième jour, les députés examinent et approuve le projet de loi. Le troisième jour, la loi est promulguée et on actionne les machines à l’imprimerie. La monnaie est disponible. Le pays a sa monnaie et en use pour son développement.
Nous connaissons des pays africains qui ne sont pas dans la zone CFA, mais ne se portent pas mieux économiquement…
Vous avez raison. On vous dira d’ailleurs qu’un pays comme la Guinée Conakry par exemple a décidé de sortir de la zone CFA avec Sekou Touré mais n’a pas réussi à construire une économie forte. C’est un fait. Mais, pour le cas de la Guinée, on oublie toujours de dire que la France a inventé la fausse monnaie qu’elle a déversée au pays de Sekou Touré, l’homme qui a osé s’opposé au général De Gaulle en disant NON à la communauté française en 1958. Il avait dit que les Guinéens préféraient la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. Depuis lors la France a décidé de saboter ses actions.
Parlant des pays africains qui utilisent leur propre monnaie mais ne sont pas développés, il faut dire qu’ils n’appliquent pas le deuxième principe qui est la transformation locale des matières premières. Après la création de la monnaie, les Etats africains doivent obligatoirement créer de la valeur ajoutée en transformant les matières premières agricoles, minières et énergétiques sur le continent. Cette transformation conduira à l’industrialisation de l’Afrique et à la création des emplois pour les Africains.
Source : Le Journal de l’Afrique n° 003, 24 octobre 2014, Investig’Action

Burkina: Blaise compaoré chassé du pouvoir après 27 ans de règne

Par AFP - 31/10/2014

Ancien militaire putschiste, le président burkinabè Blaise Compaoré, 63 ans, a été à son tour victime d'un coup d'Etat


Ancien militaire putschiste, le président burkinabè Blaise Compaoré, 63 ans, a été à son tour victime d'un coup d'Etat jeudi, l'armée prenant le pouvoir au Burkina Faso après une journée d'émeutes contre le régime.

En 27 ans de règne, Blaise Compaoré s'est imposé comme un incontournable médiateur dans les crises africaines, mais il n'a pas su gérer la contestation populaire dans son propre pays, restant silencieux jusqu'à ce que l'armée annonce la dissolution des institutions et la mise en place d'un régime de transition.

Fidèle à sa réputation d'homme secret, M. Compaoré a longtemps tardé à dévoiler ses intentions, mais l'annonce d'un projet de révision constitutionnelle qui lui permettrait de se représenter à la présidentielle en 2015 a jeté des centaines de milliers de Burkinabè refusant un "président à vie" dans la rue. En octobre encore, le président français François Hollande proposait pourtant de le soutenir pour un poste international s'il renonçait à ce projet, en vain. Mais Blaise Compaoré se jugeait "trop jeune pour ce genre de job".

"Je n'ai pas envie d'assister à l'effondrement de mon pays pendant que je me repose ou parcours le monde", avançait-il dans un entretien en juillet à l'hebdomadaire Jeune Afrique: il s'y montrait peu empressé de prendre sa retraite, se posant en garant de la stabilité de ce pays sahélien très pauvre.

Né le 3 février 1951 à Ouagadougou, appartenant à l'ethnie mossi, la plus importante du pays, le "beau Blaise", ex-capitaine au physique avantageux, a 36 ans lorsqu'il prend le pouvoir en 1987 par un coup d'Etat, le troisième auquel il participe. Au cours de ce putsch est tué son frère d'armes et ami d'enfance, le capitaine Thomas Sankara, père de la "révolution démocratique et populaire".

Après la "rectification" au début de son règne, destinée à tourner la page des années Sankara et marquée par l'élimination d'opposants, Blaise Compaoré quitte l'uniforme et, en 1991, rétablit le multipartisme. Cela ne l'empêche pas de modifier deux fois l'article 37 de la Constitution définissant le nombre de mandats présidentiels et leur durée.

En 1991, la Loi fondamentale instaure l'élection du président pour sept ans, renouvelable une fois. L'expression "une fois" est supprimée en 1997, permettant un exercice du pouvoir à vie. Mais "l'affaire Zongo", du nom d'un journaliste retrouvé mort, avec trois autres personnes, alors qu'il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du président, provoque une grave crise politique peu après sa réélection en 1998.


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Médiateur de crises ouest-africaines
En 2000, la Constitution est amendée: le septennat devient quinquennat, renouvelable une fois. Le Conseil constitutionnel autorise toutefois la candidature de Blaise Compaoré en 2005, au nom de la non-rétroactivité d'une révision de la Loi fondamentale.

M. Compaoré devait terminer en 2015 son deuxième quinquennat, après avoir effectué deux septennats (1992-2005). Le projet de loi qui a enflammé le Burkina prévoyait de faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Selon ses détracteurs, ce changement aurait permis au président du "pays des hommes intègres" d'ajouter 15 ans de plus aux 28 qu'il aura déjà vécus au sommet de l'Etat.

Blaise Compaoré, qui figurait en sixième position des présidents africains en terme de longévité, est crédité d'avoir placé son petit pays enclavé au cœur de la diplomatie africaine, en s'imposant comme l'un des grands médiateurs dans les crises qui agitent le continent.

Il dispose d'une solide image à l'étranger, notamment en France, malgré des trafics d'armes et de diamants avec les insurrections angolaise et sierra-léonaise épinglés par l'ONU ou sa proximité avec le défunt "Guide" libyen Mouammar Kadhafi et le dictateur libérien Charles Taylor. Il fait actuellement office de médiateur au Mali.

C'est surtout en interne que le pouvoir du dirigeant burkinabè a été le plus sérieusement contesté. De mars à juin 2011, la quasi-totalité des casernes, y compris la garde prétorienne du chef de l'Etat, s'étaient mutinées, parallèlement à des manifestations populaires, ébranlant le régime et forçant le président à quitter momentanément la capitale.

"Lui et son entourage lisent très mal les mutations psychologiques et sociales de la population. Ils continuent à penser que les choses sont comme dans le passé et qu'il est toujours assez fort. Mais en réalité, la confiance, le soutien dont il bénéficiait se sont estompés", estime Siaka Coulibaly, politologue plutôt proche de l'opposition.

Au Burkina, où 60% des 17 millions d'habitants ont moins de 25 ans et n'ont jamais connu d'autre régime, une grande partie de la jeunesse, surtout dans les villes, refuse une perpétuation de son pouvoir. Blaise Compaoré était par ailleurs impopulaire auprès de nombreux Burkinabé et pan-africanistes pour l'exécution, qu'il a toujours nié, de Thomas Sankara, père du Burkina Faso et égérie de la lutte contre le néocolonialisme.

mardi 14 octobre 2014

Nous sommes Sankara

” Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu’il a été grand hier et donc, peut-être aujourd’hui et demain. Fonder l’espoir ". Thomas Sankara

Quinze octobre 1987, qui se souvient qu’il a fait un peu plus froid même sous les tropiques ? Comme si une main glaciale avait étreint nos souffles. Qui remémore le fait que le monde a semblé s’arrêter ? Qui se rappelle le fait que beaucoup sont descendus du train de l’espoir croyant le message mort avec le messager ?

Le quinze octobre 1987, le héros est tombé. Nos vingt ans se sont pétrifiés comme se figeaient nos espoirs.

Etait-il possible que l’Afrique n’ait pas d’autre solution que l’acceptation servile de définitions d’elle-même et de sa destinée par d’autres ? Etait-il possible que la seule possibilité qui nous soit accessible soit celle d’accepter le mépris et l’offense faite à l’Afrique sans réagir ?

Etait-il possible que notre Thomas n’ait été qu’un combattant contre des moulins à vents le temps d’être arrêté ?

Etait-il possible que la funeste et tentaculaire Françafrique ait eu à toujours le dernier mot sur nos destinées d’Afrique ?

Il a soufflé sur nos cœurs un vent paralysant.

Isidore Noël Thomas SANKARA était devenu en quelques années le visage de nos rêves d’Afrique. Orateur exceptionnel il savait nous toucher dans ce que nous avions d’essentiel : notre africanité, notre dignité, notre humanité, notre appartenance pour une partie de la jeunesse à la gente féminine. Nous avions vingt ans et voici qu’un homme nous offrait par son regard, son action et ses mots des lendemains autres que le fait de marcher sur les sentiers largement battus de l’Afrique aux ordres.

Isidore Noël Thomas SANKARA, figure de la liberté, de la dignité, de l’audace, d’une jeunesse autrement. Les François Mitterrand et autres Félix Houphouet Boigny auraient voulu le réduire au rôle du jeune agité utopiste et incontrôlable. Ils auraient voulu que l’on ne voie en lui que cela. Mais voilà, Sankara était porté par un feu qui parlait aux braises de nos désirs de liberté et, en nous se levait un feu pour la terre mère, pour nos nations.

Il est une jeunesse en Afrique, jeunesse d’hier ou d’aujourd’hui qui n’a pas pour ambition de revêtir le costume de l’oncle Tom en singeant l’occident et ses valeurs. Cette jeunesse n’a pas pour fin l’entrée dans les schémas allogènes de la réussite au point de ne plus se soucier des intérêts du pays ou du continent. La force de la jeunesse c’est sa capacité à embrasser avec passion des idéaux élevés. Que communiquons-nous à notre jeunesse, laissons passer le souffle de Thomas.

Thomas Sankara a été une voix quasi prophétique pour réveiller nos esprits en somnolence pour les inviter à repenser l’Afrique autrement et avec espérance. «  La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néo-colonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins  » Thomas Sankara
Oh il ne caressait pas l’auditoire dans le sens du poil. Il lançait des défis par les mots. « Ces aides alimentaires (…) qui installent dans nos esprits (…) ces réflexes de mendiant, d’assisté, nous n’en voulons vraiment plus ! Il faut produire, produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés. » 1ère conférence nationale des CDR, 4 avril 1986.

Les « aînés » africains et autres gouvernants français auraient aimé réduire sa passion et sa fougue en une exaltation de quelque illuminé, mais l’homme avait sur le monde plus qu’une œillade, il avait un regard, une vision.

Il a osé parler de et à l’occident avec fermeté : « Le pillage colonial a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains” 1983, Paris, Conférence Internationale sur l’arbre et la forêt.

Il s’est arrogé le droit de dénoncer et de s’attaquer aux fondations de la Françafrique. « Le système néocolonial tremble quand le peuple devenu maître de sa destinée veut rendre sa justice ! » (T. Sankara)

La pieuvre ne pouvait rester inerte elle avait un tentacule prénommé Blaise qui a opportunément oublié que Thomas et lui avaient été amis. Le tentacule osera nier cette amitié après le crime odieux. Thomas est tombé, Compaoré peut régner. Oui mais voilà après la tétanie, après la pétrification, après les colères et autres désespoirs, la voix et le souffle de Thomas éveillent encore et toujours nos esprits. Compaoré et ses comparses gouvernent (si l’on peut dire) des pays, mais ils ne règnent pas sur nos libertés de penser et d’envisager l’Afrique. Thomas et ceux qui l’on précédé ont frayé des chemins de liberté dans nos conscience. Ils ont tué un homme, ils ne l’ont pas vaincu pour autant.

Le message de Thomas Sankara était plus grand que les limites de sa peau, il continue à rappeler aux jeunes et moins jeunes qu’une Afrique autrement est possible. Les meurtriers coupables et ou complices de son assassinat n’ont pas tué le rêve ils en ont différé juste la réalisation. Un homme est mort mais il a semé des pousses d’espoir et par toute l’Afrique se lèvent et se lèveront des femmes et des hommes animés de cette sainte jalousie pour l’Afrique et qu’elle le veuille ou non la pieuvre lâchera prise et ira étendre ses ignobles tentacules ailleurs.

« Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ! » disait Thomas Sankara.
Nous sommes des Thomas Sankara en puissance. Pour la cause de l’Afrique panafricaine et libre nous devons laisser passer le souffle qu’il portait.
Respects profonds et reconnaissants à ta mémoire Isidore Noel Thomas SANKARA. Que le souffle qui animait tes combats se ranime avec force ce jour et pour la suite des temps afin que l’Afrique notre Afrique se lève comme un seul homme pour refuser désormais pour refuser toute cession sur les terrains de la liberté et de la dignité.
Aussi imparfait qu’il ait été, sa fougue et ses erreurs ne l’avaient pas changé dans sa passion pour une Afrique libre et digne. Il avait rêvé l’Afrique autrement, le nom de son pays aujourd’hui est un écho de son rêve : le pays des hommes intègres.

Sommes-nous prêts à reprendre le flambeau. Le choc brutal de l’annonce de sa mort est passé, l’Afrique attend. Qu’il ne soit pas mort pour rien, pas plus que Lumumba, Nyobe, Biko et les autres.

Nous appelons des dirigeants sur le modèle de Sankara.
Sa vie, son passage élèvent notre niveau d’exigence quant à nos dirigeants.
A BAS LA FRANCAFRIQUE ! VIVE L’AFRIQUE LIBRE DIGNE ET SOUVERAINE.

Nous sommes Sankara
Nous sommes des héros qui ne demandons qu’à nous lever. Mais nous l’ignorons souvent.
Nous sommes africains.
Nous sommes l’Afrique.
A nous de nous lever et aux héros tombés sur le champ d’honneur de reposer en paix.
 
Vous pouvez signer l'appel pour la réouverture de l'enquète sur l'assassinat de Thomas Sankara, déjà signé par : José Bové, Tiken Jah Fakoly, Eduardo Galeano, Didier Awadi, Jean Ziegler, Guy-Patrice Lumumba, Sams’K Le Jah, Eric Toussaint, Alain Lipietz, Michel Collon, Nicole Kiil-Nielsen, entre plus de 4000 signature...
 
 

Thomas Sankara : le Che africain meurt le 15 octobre 1987

Thomas Sankara, président du Burkina Faso, est assassiné le 15 octobre 1987, sept jours après son dernier discours public en hommage à Che Guevara. Il n'a jamais joui de la célébrité de son illustre modèle. A tort. Sankara reste le héros de nombreux Africains. Il est le Che africain.

Il persiste un mythe lancinant qui ne veut pas s'effacer : l'Afrique ne serait pas apte à porter des dirigeants responsables. Vraiment ? Aucun pays africain n'a connu la démocratie après la décolonisation. Sans exception, les leaders africains se sont avérés être des autocrates, des hommes corrompus ou des tyrans sanguinaires. Ils ne souhaitaient qu'une seule chose : être le plus riche possible, le plus vite possible. Voilà ce qu'est l'Afrique. Du moins, c'est ce que veulent faire croire les médias de masse des anciennes puissances coloniales.
Les vieux kleenex

Les exemples sont nombreux : Mobutu a fui le Zaïre (Congo) avec une fortune équivalente à la moitié de la dette du pays, le grotesque Bokassa en Centrafrique, l'horrible Idi Amin en Ouganda, Siad Barre en Somalie, Houphouët-Boigny en Côte d'Ivoire et Blaise Compaoré au Burkina Faso. Et j'en passe.
Ces hommes (il ne s'agit en effet que d' « hommes ») présentaient des similitudes : ils sont arrivés au pouvoir par la violence, forts d'un soutien total et illimité des forces militaires de leurs anciens colonisateurs, de larges fonds mis à disposition par le FMI et la Banque mondiale, la répression et l'exploitation de leur propre peuple. Et tous ont été largués par ces mêmes alliés comme des vieux kleenex une fois qu'ils arrêtèrent de servir les intérêts occidentaux.
L'un des criminels cités ci-dessus s'accroche toujours au pouvoir : Blaise Compaoré au Burkina Faso. Il a accédé au pouvoir par un coup d'Etat il y a 24 ans, le 15 octobre 1987. Ce jour-là, il tue son prédécesseur Thomas Sankara qui avait à peine 38 ans. Sankara était devenu président en 1983 de la Haute Volta après un coup d'Etat militaire contre un dictateur militaire. Ce coup d'Etat avait cependant profité d'un large soutien au sein de la population. L'on en comprendra très vite la raison.
 
 
Renault R5
Sankara est celui qui abandonne le nom colonial de Haute Volta et le remplace par Burkina Faso (littéralement : Pays des Hommes Droits = des gens justes). Il ne sera resté que quatre an au pouvoir mais ce furent quatre années incroyables pour le peuple du Burkina Faso. En à peine trois ans, il réussit à rendre le pays autosuffisant pour son alimentation. Le pays était jusqu'alors complètement tributaire de l'aide alimentaire pour combattre les famines qui s'abattait en permanence sur le pays.
Il était le premier dirigeant africain à nommer des femmes ministres (et pas pour les portefeuilles « Affaires féminines » ou « Planning familial »). Il fait interdire la polygamie et approuve des lois contre la violence conjugale. Il partage les terres abandonnées par les chefs tribaux féodaux entre les fermiers.
Il était aussi le premier leader africain à reconnaître le fléau du Sida ouvertement, à mettre en place un projet d'envergure visant l'amélioration des infrastructures publiques (routes, écoles, hôpitaux) et à refuser les prêts de capitaux étrangers. Il condamna ouvertement le FMI et la Banque mondiale d'être des instruments néocoloniaux (à raison).
La petite élite fortunée pro-française devait également y passer. Les salaires des hauts fonctionnaires furent drastiquement revus à la baisse. Il vendit la flotte complète de véhicules Mercedes des autorités publiques, diminua son propre salaire pour l'établir à 450 dollars par mois et roulait lui-même dans une petite Renault R5.
Il abolit cette habitude africaine de placarder partout des portraits du président. En outre, il mit un terme aux voyages en Business-class des hauts fonctionnaires et initia une campagne d'anti-corruption. Il n'hésita pas non plus à critiquer ouvertement ses homologues à travers l'Afrique.

Cela ne plut pas à Houphouët-Boigny, dictateur de la Côte d'Ivoire limitrophe. Il avait en effet été accusé par Sankara d'être un dictateur sanguinaire mais aussi d'avoir un intérêt économique direct à maintenir la pauvreté du pays voisin, le Burkina Faso. En effet, le commerce florissant du cacao en Côte d’Ivoire dépendait en grande partie de la main-d'oeuvre bradée des pauvres immigrants du Burkina Faso.
Grâce au soutien logistique de la France, Houphouët-Boigny put convaincre le successeur de Sankara, Blaise Compaoré, d'organiser un coup d'Etat. Aujourd'hui, Compaoré est encore et toujours le meilleur allié de la France en Afrique de l'Ouest. Il est d'ailleurs l'un des Africains les plus riches alors que le Burkina Faso est redevenu un des pays les plus pauvres d'Afrique, croulant sous une montagne de dettes envers le FMI et la Banque mondiale.
Sankara serait-il resté le leader prometteur qu'il fut durant quatre ans ? Nous ne le saurons jamais. Tout comme nous ne saurons jamais si Patrice Lumumba, premier ministre du Congo indépendant, aurait tenu ses promesses.
Une chose est néanmoins sûre : aucun de ces deux hommes n'ont eu l'occasion de le prouver. Une seule raison à cela : le riche Occident n'appréciait pas le programme soutenu par Sankara et consorts. Il ne servait pas les intérêts des anciens colons.
C'est un mythe d'affirmer qu'il n'existe pas de leadership africain responsable. C'est par contre une réalité d'affirmer que l'Occident a nui au leadership africain.

Sankara, Lumumba, Amilcar Cabral et beaucoup d'autres étaient de vrais dirigeants africains. Si nous, l'Europe, avions un jour envisagé de « développer » l'Afrique, ce sont ces leaders que nous aurions soutenu.

Lode Vanoost
Lode Vanoost a été député (1995-2003) et est depuis conseiller pour les institutions internationales des Balkans (Kosovo, Monténégro, Albanie, Macédoine et Serbie), du Caucase (Arménie), d'Asie (Timor oriental) et d'Afrique (Niger, Bénin, Congo-Kinshasa et Burundi).
 
 
 

47 ans après sa mort, le Che reste vivant

Peu de gens auront autant marqué l'histoire révolutionnaire et humaniste que Ernesto Guevara, Son courage, ses luttes, ses idéaux restent un exemple pour tous ceux qui continuent à lutter aujourd'hui pour un monde plus juste, définitivement débarrassé de la pauvreté, des injustices sociales, du racisme, de l’exploitation et de l'impérialisme, en bref du système de domination capitaliste.

De l’Argentine, son pays natal à la Grèce, en passant par la place Tahrir du Caire, son portrait est omniprésent pour symboliser les différentes manifestations contre l’austérité, le néolibéralisme, les dictatures... Il est de ces personnes qui ont marqué éternellement l’Histoire avec un grand « H ». Sa soif de justice et de liberté qui le conduira à la lutte armée à Cuba, au Congo et en Bolivie aura raison de lui. Il sera assassiné le 9 octobre 1967 par l’armée bolivienne et la CIA à la Higuera en Bolivie, alors qu’il tentait une énième insurrection révolutionnaire dans ce pays rongé par les injustices et la misère.
Mais, malgré les années de dictature fasciste et de politique néolibérale, sa mémoire reste vive et continue d’alimenter les luttes sociales qui ont porté au pouvoir des gouvernements progressistes et révolutionnaires en Amérique Latine.
Début 1950, après avoir lu et relu Don Quichotte, il part découvrir son continent avec son ami Alberto Granado à bord d’une simple moto. Ce voyage constituera pour lui un premier tournant décisif dans sa vie de révolutionnaire. En sillonnant les terres de ce qu’il appellera sa « véritable grande patrie », il découvre la violence sociale et la misère. Les multinationales états-uniennes tel que la United Fruit, surnommée la pieuvre verte, fleurissent et s’enrichissent pendant que l’immense majorité du peuple ne mange pas à sa faim. Face à cette réalité injuste et cruelle, il déclare en paraphrasant Simon Bolivar, El Libertador : « J’ai juré de ne pas prendre de repos tant que ne seront pas annihilés ces poulpes capitalistes »
Début 1952, il rentre à Buenos Aires pour terminer ses études : quinze examens réussis en trois mois et le voilà médecin. Mais, nomade infatigable et insatiable, il repart sur les routes sans savoir qu’il quitte son pays pour toujours.
L’Amérique Latine est alors en pleine effervescence et, en septembre 1952, il assiste en Bolivie à la Révolution Nationale qui nationalise les grandes mines et déclare la réforme agraire. En 1954, il est au Guatemala lorsque survient le coup d’État organisé et soutenu par la CIA et le gouvernement états-unien contre le président Jacobo Arbenz élu démocratiquement quatre ans plus tôt. Son tort ? Avoir osé s’attaquer aux intérêts économiques de la United Fruit en proposant une réforme agraire dans le but de redistribuer aux paysans pauvres les terres qui leur avaient été volées par l’oligarchie nationale et les multinationales. Cet événement tragique dans l’histoire de l’Amérique centrale constitua un deuxième tournant dans le destin de Che Guevara. Ce dernier est contraint de fuir et se rend à Mexico, alors la Mecque des exilés politiques latino américains. Il fait la rencontre de Raul Castro qui le présente immédiatement à son grand frère Fidel. Et lors d’une nuit de juillet 1955, après d’intenses discussions et échanges, il décide de s’engager aux côtés des révolutionnaires cubains qui tentent de débarrasser le pays du dictateur Fulgencio Batista. Pour le Che, cet engagement est une évidence : « Après ma longue marche à travers l’Amérique Latine, il n’en fallait pas beaucoup plus pour me persuader de rejoindre n’importe quelle révolution contre un tyran »
Durant cette lutte acharnée contre l’armée de Batista soutenue par les Etats-Unis, Guevara laissera sa trousse de médecin et prendra les armes. Il sera un artisan majeur de la victoire des « barbudos », notamment grâce à la prise de la ville de Santa Clara qu’il libère fin 1958. Fidel Castro l’élèvera même au rang de « Commandante » et il recevra la nationalité cubaine. Il sera nommé Président de la Banque Centrale puis Ministre de l’Industrie mais son combat révolutionnaire pour l’émancipation des peuples le poussera hors des frontières de Cuba. Au Congo, tout d’abord, où il combattra avec des insurgés qui tentent de mettre fin à la tyrannie de Joseph Désiré Mobutu arrivé au pouvoir en 1965 grâce au soutien des Etats-Unis et de l’ancienne puissance coloniale belge, après le coup d’Etat fomenté contre le Chavez congolais, Patrice Lumumba. Le Che sera durement marqué par ce coup de force des puissances occidentales qui a pour but d’empêcher la libération du Congo et de piller les immenses ressources minières du pays (or, argent, diamants.. ). Devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, le Che déclare : « le cas douloureux du Congo, unique dans l’histoire du monde moderne, qui montre de quelle manière on se moque du droit des peuples dans la plus grande impunité. Les énormes richesses que détient le Congo et que les nations impérialistes veulent maintenir sous leur contrôle » Ce discours d’une grande clairvoyance serait tout à fait approprié au contexte actuel : guerre pour le pétrole en Irak, en Libye, au Venezuela, pour le gaz en Bolivie et pour les ressources minières en Afrique. L’Histoire continue et l’impérialisme avec elle. Au cours de son périple en Afrique, il rencontre le charismatique président égyptien Gamal Abdel Nasser ou encore l’Algérien Houari Boumediene. Lors de son célèbre discours d’Alger, il condamnera avec force l’impérialisme non seulement occidental mais aussi soviétique pour lequel il sera accusé de « dérive idéologique » par Moscou. Dans la lignée de la conférence de Bandung en 1955 et de la création du mouvement des non-alignés en 1961, Guevara a pour but de fédérer les peuples du tiers-monde qui luttent contre l’impérialisme, notamment états-unien, et pour leur indépendance. Il tentera tout au long de sa courte vie (il mourra à 39 ans) de créer un internationalisme prolétarien, du Vietnam de Ho Chi Minh au Chili de Salavador Allende en passant par l’Algérie de Boumediene. Car pour lui, latino américain de naissance mais combattant universel, les luttes n’ont pas de frontières. Vu que l’impérialisme et le colonialisme sont partout, les résistances doivent être partout. Sa mort le 9 octobre 1967 met fin a plus de quinze de lutte acharnée. L’humanité perd un de ses plus grands défenseurs. Les peuples en lutte rendent hommage à cet homme qui donna sa vie pour celle des autres. Le Che est mort, oui, mais seulement physiquement car ses idées émancipatrices, son esprit de révolte et de solidarité, sa haine de l’injustice continuent à planer au dessus des millions de personnes qui poursuivent leurs luttes vers la libération et la justice sociale.
Les révoltes populaires qui ont ébranlé l’Amérique Latine au cours de ces vingt dernières années, que ce soit celle du Caracazo vénézuelien le 27 février 1989 qui fit 3000 morts, que ce soit la violente protestation contre la privatisation de l’eau en 2000 en Bolivie ou encore les soulèvements qu’a connu l’Argentine en 2001 après que les recettes du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM) aient envoyé 50% de la population sous le seuil de pauvreté, tout cela, ainsi que l’arrivée au pouvoir de présidents de gauche, montre que la figure du Che reste ancrée dans la tête de millions de latino américains.
En Amérique du Sud, les luttes d’hier sont les luttes d’aujourd’hui. Les révolutions démocratiques qui ont secoué le continent ont prouvé que les luttes populaires pour la justice et l’égalité finissaient toujours par l’emporter face aux défenseurs de la cupidité et de la loi du profit. Les nationalisations, les programmes sociaux, l’adoption d’une nouvelle constitution en Bolivie, au Venezuela et en Equateur ont redonné aux classes opprimées un rôle majeur dans la construction de nouvelles sociétés. De plus, les politiques d’intégration régionale comme l’ALBA ou internationale telle que l’ASA (Amérique du Sud-Afrique) vont dans le sens d’une mondialisation des luttes, d’une solidarité internationale entre peuples du Sud partageant un passé commun et sans aucun doute un avenir commun.
Alors, aux puissants de ce monde qui tentent de détruire les figures émancipatrices d’hier et d’aujourd’hui, à ceux qui tentent de décrédibiliser les grands libérateurs à coups de média-mensonges et de propagandes fallacieuses, à ces carriéristes politiciens qui hier, en mai 1968 portaient la figure du Che et qui aujourd’hui dénoncent sans relâche la « dictature chaviste », à ceux qui seraient tentés par la résignation étant donné qu ’il « n’y a pas d’alternative », les combats d’Ernesto Guevara, de Hugo Chavez, de Mohammad Mossadegh, Thomas Sankara, de Rafael Correa, d’Evo Morales...nous servent pour penser et imaginer un monde plus juste car aujourd’hui plus que jamais nous n’avons plus à rien perdre. Alors « Soyons réalistes, demandons l’impossible !! »
Source : Investig’Action

 

Evo Morales en route pour un troisième mandat

Les élections du 12 octobre prochain devraient voir sans surprise la réélection du président sortant, Evo Morales Ayma, avec une large avance sur son opposant principal, l'homme d'affaires Samuel Doria Medina, le Capriles bolivien, soutenu par l'élite conservatrice et les Etats-Unis. Pourtant, rien ne prédestinait ce cultivateur de coca à un tel destin...

Depuis 1998 et l’élection d’Hugo Chavez à la tête du Vénézuéla, l’Amérique Latine a entamé un cycle de révolutions démocratiques qui ont balayé les derniers vestiges mortifères du néolibéralisme.
Du Nicaragua à l’Argentine en passant par L’Equateur, des politiques économiques et sociales ambitieuses ont permis aux classes populaires de retrouver leur dignité.
Et parmi ces pays, la Bolivie fait office de nation pionnière en termes de réduction de la pauvreté, de lutte contre l’analphabétisme ou encore d’indépendance économique.
Les élections du 12 octobre prochain devraient voir sans surprise la réélection du président sortant, Evo Morales Ayma, avec une large avance sur son opposant principal, l’homme d’affaires Samuel Doria Medina, le Capriles bolivien, soutenu par l’élite conservatrice et les Etats-Unis.
Pourtant, rien ne prédestinait ce cultivateur de coca à un tel destin...
Le peuple bolivien, en grande majorité composé de Métis et d’Indiens, a vécu depuis son indépendance en 1825 sous la domination d’une élite blanche corrompue, héritière du colonialisme espagnol. Les Indiens ont été depuis la colonisation victimes de travail forcé, d’esclavage, d’oppression et de misère. Seule lumière au tableau, la Révolution Nationale de 1952 (1) qui a vu la nationalisation des grandes mines, le décret de la grande réforme agraire et l’approbation du vote universel.
C’est dans ce contexte historique de division ethnique et de racisme envers les peuples autochtones que des mouvements indigénistes, de paysans pauvres, de cocaleros et d’ouvriers virent le jour. Evo Morales, né en 1959, est un enfant de ces luttes pour la dignité du peuple bolivien. Syndicaliste et défenseur de la culture de la coca, il s’est opposé à l’ingérence de la DEA (Drug Enforcement Administration), l’organe états-unien censé "lutter contre le narcotrafic" en Amérique Latine mais qui en réalité a tenté à maintes reprises de déstabiliser des gouvernements qui ne plaisaient pas à la Maison Blanche (comme ce fut et c’est encore le cas au Venezuela où cette organisation terroriste travaille conjointement avec les paramilitaires d’extrême droite colombiens et l’ancien président Alvaro Uribe).
Après un long chemin de lutte où Morales échappa à une tentative d’assassinat orchestré par la DEA ainsi que son exclusion du Parlement ainsi que celle de son parti le Movimiento al Socialismo (MAS) en 2002, il remporte finalement l’élection présidentielle dès le premier tour le 18 décembre 2005 avec une large avance : 53,7% des voix. C’est la première fois qu’un mouvement remportait l’élection dès le premier tour sans avoir à constituer d’alliances au Parlement. L’élection de ce pauvre paysan cocalero ainsi que d’un ex-guerillero, le vice-président Alvaro Garcia Linera, sonne comme un coup de tonnerre dans la société bolivienne. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un Indien arrive à la plus haute fonction de l’Etat. Morales symbolise désormais l’espoir pour des millions de Boliviens pauvres, meurtris par des années de néolibéralisme qui n’ont fait qu’aggraver la misère et répandu la faim et le désespoir. A l’arrivée au pouvoir de Morales, la situation est criante : la Bolivie est un des pays les plus pauvres du monde. En Amérique, seul Haïti connaît une pauvreté plus importante que la Bolivie. En ville, le pays est ravagé par le chômage et l’indigence tandis que, dans les campagnes, les gens souffrent de malnutrition. Mais fort de son passé de lutte syndicale et malgré l’opposition parfois violente de l’élite économique et des tentatives de déstabilisation de la part de l’impérialisme états-unien, Morales entame de profondes réformes afin de combattre les graves problèmes sociaux qui frappent durement le pays.
Juste après son élection, en 2006, il décide de redonner à l’Etat un rôle majeur dans la refonte de l’économie bolivienne, cette dernière étant basée essentiellement sur l’exploitation du gaz et du pétrole. Les multinationales étrangères s’enrichissent pendant que le peuple meurt de faim. Avant 2006, 82% des bénéfices liés au pétrole et au gaz allaient dans les poches des transnationales comme BP, SHELL ou encore TOTAL. L’Etat, lui, ne recevait que 18% de cette manne. La loi de 2006 sur les hydrocarbures inverse ces chiffres ; désormais 82% iront à l’Etat et 18% aux multinationales. Ces nationalisations courageuses, largement appuyées par la population à l’exception des classes supérieures et faisant fi de l’hostilité des multinationales qui voyaient leur pouvoir économique s’amoindrir, ont permis de lancer de vastes programmes sociaux avec l’aide des pays frères, membres de l’ALBA, dont la Bolivie fait partie comme le Venezuela ou encore Cuba(2). Ce dernier a notamment envoyé des milliers de médecins comme un peu partout sur la planète. Grâce à l’excellente compétence des médecins cubains reconnue dans le monde entier, des millions de personnes ont ainsi pu être soignées. La mission de santé "Milagro", présente notamment au Venezuela et qui a pour but de soigner les maladies des yeux, a bénéficié à plus de 600 000 Boliviens.
De plus, entre 2006 et 2014, la pauvrété extrême est passée de 38 à 18% (3). Enfin, en 2008, le pays est devenu la troisième nation latino-américaine après Cuba et le Venezuela à devenir "territoire libre d’analphabétisme".
Par ailleurs, grâce à une forte croissance économique (4), l’Etat bolivien a initié des projets de développement technologique (5)ambitieux : envoi d’un satellite afin d’accroître la connectivité et la réception d’internet, constructions d’éoliennes, lancement de la médecine nucléaire, maisons écologiques... Autant de projets qui ont pour but de consolider l’indépendance économique et énergétique de la Bolivie.
Sur le plan international et dans son intention de se libérer de la tutelle des Etats-Unis, la Bolivie, tout comme Cuba, le Nicaragua ou le Vénézuela, a développé et intensifié ses relations stratégiques et commerciales avec la Chine et ce, au grand dam de Washington qui voit d’un très mauvais oeil l’arrivée du géant chinois dans son "pré carré".
Nationalisations, programmes sociaux, réforme agraire, nouvelles coopérations internationales, autant de décisions qui ont fait hurler l’oligarchie nationale et les chancelleries occidentales. Pour les multinationales étrangères ainsi que pour le gouvernement états-unien, l’idée que la Bolivie sorte des pays soumis aux diktats de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, refuse de libéraliser son économie, nationalise le gaz et le pétrole, se rapproche du diable Chavez, est suffisante pour tenter de déstabiliser le gouvernement démocratiquement élu.
En 2006, Philip Golberg (6), qui avait dirigé la mission états-unienne à Pristina au Kosovo, devient ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie. Débutent alors des actions violentes dans les régions de Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando où vit l’élite bolivienne. Cette dernière, tout en dénonçant l’étatisme, l’autoritarisme et l’indigénisme du président bolivien, organise des référendums illégaux pour réclamer l’autonomie de ces régions riches en hydrocarbures. Des bandes armées sèment le chaos et la terreur, prennent des aéroports ainsi que des édifices gouvernementaux. En septembre 2008, des paramilitaires assassinent sauvagement trente-et-un paysans dans le département de Pando. Ces événements rappellent étrangement les actions violentes qui avaient précédé les coups d’états au Chili en 1973, au Venezuela en 2002, au Honduras en 2009 ou encore en Equateur en 2010. L’objectif de ces violences orchestrées par les Etats-Unis avec la complicité des oppositions de droite et d’extrême droite nationales est de créer un climat de guerre civile, où la situation serait incontrôlable et justifierait donc une "guerre humanitaire" qui déboucherait ensuite sur un appui financier voire militaire "à ceux qui défendent la démocratie et les droits de l’homme"... Karl Marx avait affirmé : "Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre" Ces tentatives de déstabilisation échouèrent et renforcèrent l’appui envers le président Morales. L’histoire ne se répéta pas.
De leur côté, les médias occidentaux lorsqu’ils évoquent (très rarement), le cas de la Bolivie, ne s’intéressent que très peu aux réussites socio-économiques du pays andin. Non, ils préfèrent se concentrer sur la posture "populiste" du président bolivien. Il est vrai que montrer les effets positifs sur la conjoncture économique de la reprise en main par l’Etat de l’économie, des nationalisations, de l’augmentation des dépenses publiques consacrées à l’éducation, à la santé et au logement serait un mauvais message envoyé par les élites économiques libérales aux millions d’Européens qui souffrent tous les jours un peu plus des politiques d’austérité et des privatisations à marche forcée.
Le gouvernement bolivien enmené par son président atypique a, depuis son élection en 2005, transformé en profondeur la société bolivienne. Les avancées en termes de réduction de la pauvreté, de gratuité totale des soins de santé, d’éradication de l’analphabétisme sont remarquables. Néanmoins, le chemin reste long car, de tous les pays victimes du colonialisme espagnol et du néocolonialisme états-unien, la Bolivie est sans doute un de ceux qui en a été le plus sévèrement affecté(7). La pauvreté y est toujours importante et les inégalités subsistent. Par ailleurs, les tentatives de déstabilisation du pays par les Etats-Unis restent fortes, notamment depuis que Morales a décidé de ne plus coopérer avec ce simulacre de "guerre contre le narcotrafic" qui a permis aux Etats-Unis d’intervenir de nouveau en Amérique du Sud.
Avant d’être exécuté en 1781, Tupac Katari, qui avait mené une insurrection indienne contre le colon espagnol, lanca à ces derniers : "Un jour je reviendrai et nous serons des millions". Il semble aujourd’hui que Tupac Katari soit revenu et que son ombre plane au-dessus des millions de Boliviens qui ont repris leur destin en main et ont lancé leur seconde et définitive indépendance !

Moctar le panafricain

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