jeudi 20 novembre 2014

Vie et combats de Thomas Sankara

« Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers monde ». Thomas SANKARA, « La liberté se conquiert par la lutte », Discours à l’Assemblée générale des Nations unies, 1984. Investig'Action offre à ses lecteurs un extrait du livre Figures de la révolution africaine de Saïd Bouamama consacré à la figure révolutionnaire de Thomas Sankara.

 

 

Au sommet de l’OUA, en juillet 1987, le président du Faso lance devant ses homologues ébahis un mémorable discours qui restera dans l’histoire comme l’un des plus marquants manifestes contre les dettes injustes et illégitimes :
La dette s’analyse d’abord de par son origine. Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont eux qui nous ont colonisés. Ceux sont les mêmes qui géraient nos États et nos économies […].
La dette, c’est encore le néocolonialisme où les colonialistes se sont transformés en assistants techniques (en fait, nous devrions dire en « assassins techniques »). Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement […]. On nous a présente des dossiers et des montages financiers alléchants. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.
La dette sous sa forme actuelle est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. […]
Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang […].
Quand nous disons que la dette ne saura être payée, ce n’est point que nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. [C’est parce que] nous estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. Entre le riche et le pauvre, il n’y a pas la même morale » .
Moins de trois mois après, Thomas Sankara est assassiné. Il avait prévu cette possibilité en soulignant à Addis-Abeba la nécessite d’un refus collectif du paiement de la dette « pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner ».
Et de prophétiser : « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas la à la prochaine conférence. »

« ON PEUT TUER UN HOMME MAIS PAS DES IDÉES »

Sankara sait de quoi il est question lorsqu’il parle de la dette. L’expérience révolutionnaire du Burkina est menacée par les remboursements de cette dette, dont le poids est devenu insupportable alors que dans le même temps l’aide internationale chute de 25 % et l’aide bilatérale française passe de 88 millions à 19 millions de dollars entre 1982 et 1985 .
Ce cadre de contrainte conduit, des 1983, à une rigueur implacable que Sankara s’applique d’abord à lui-même et à ses proches. Le président du Faso ne dispose que de deux outils pour améliorer les conditions matérielles d’existence des plus démunis et financer le développement autocentré. Le premier est la baisse des dépenses de fonctionnement des services publics. Le second est la mise à contribution des seuls contribuables qui ont un revenu stable, les salariés urbains et en particulier les fonctionnaires. La hausse des cotisations sociales et taxes diverses s’appliquant aux fonctionnaires est constante. Journaliste spécialiste du Burkina Faso, Pascal Labazée estime à 30 % la baisse du pouvoir d’achat des salaires urbains entre 1982 et 1987 .
Petit à petit, les contradictions s’exacerbent entre les fonctionnaires et le pouvoir. Elles sont en outre entretenues par l’opposition. Le Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta (SNEAHV), dont plusieurs dirigeants sont membres du Front patriotique voltaïque, une organisation s’opposant au CNR se fait le porte-parole du mécontentement.
L’arrestation, le 12 mars 1984, de quatre dirigeants de ce syndicat pour « complot contre la sûreté de l’État » entraîne un mot d’ordre de grève pour les 20 et 21 mars. Dès le lendemain, le ministre de la Défense annonce sur les ondes le licenciement des 1 380 enseignants grévistes. La Confédération syndicale burkinabé (CSB), proche du PAI, reste pour sa part plus longtemps fidèle au régime révolutionnaire. Mais, se montrant plus revendicative à partir de 1984, lorsque le PAI rompt avec le CNR, elle est à son tour confrontée à la répression. Son secrétaire général est arrêté, l’accusation d’« anarcho-syndicalisme » entre dans le discours officiel et le président du Faso perd ainsi un de ses alliés les plus anciens et les plus importants. Confronte à cette grave crise sociale, Sankara explique ainsi son dilemme :
"Il y a un choix à faire. Ou bien nous cherchons à contenter les fonctionnaires – ils sont à peu près 25 000, disons 0,3 % de la population –, ou bien nous cherchons à nous occuper de tous ces autres qui ne peuvent même pas avoir un comprimé de nivaquine ou d’aspirine et qui meurent simplement quand ils sont malades" .
Si l’on peut comprendre que la priorité de Sankara aille à la seconde catégorie, la question du rythme des changements est plus discutable. Pour évaluer ce rythme, il manque au président du Faso un outil de liaison politique permanent avec les différents secteurs sociaux des classes populaires. La division des organisations politiques de gauche les empêche de jouer cette fonction politique. Sankara ne ménage pas ses efforts pour les faire converger mais, comme il l’explique en 1984, il ne veut pas reproduire les erreurs d’autres expériences révolutionnaires africaines :
"Nous pourrions, bien sûr, créer un parti tout de suite […]. Mais nous ne tenons pas à calquer, à reproduire ici naïvement, et d’une manière plutôt burlesque, ce qui a pu se faire ailleurs. Ce que nous aimerions, c’est d’abord tirer profit des expériences des autres peuples. […] Nous ne voulons pas qu’elle [l’organisation] s’impose de manière dictatoriale ou bureaucratique, comme cela a pu se passer ailleurs… Il faut qu’elle soit […] l’émanation d’un désir populaire profond, d’un vœu réel, d’une exigence populaire" .
Les CDR de leur côté ne peuvent pas non plus assurer cette fonction politique. Ce sont les militaires qui héritent dès le début du secrétariat général des CDR. Le capitaine d’aviation Pierre Ouedraogo, « un des amis de Sankara issus du cercle politique de la première heure » ( ), est nommé secrétaire général national des CDR. Il impulse une logique du changement « par en haut » tendant ainsi à transformer ces structures censées être de « démocratie directe » en simple « courroie de transmission ». Plus grave, les CDR sont instrumentalisés au service de la lutte au sein du CNR.
« Ainsi, résume Bruno Jaffré, les CDR ont incontestablement joué un rôle répressif en procédant à des arrestations arbitraires souvent sur ordre du secrétariat général des CDR. Ils ont aussi participé aux différentes offensives qui ont eu lieu contre les syndicats et servi de masse de manœuvre dans la sourde bataille que se livraient les différentes factions politiques pour le contrôle du pouvoir note. »
Les interventions du président du Faso en avril 1986, lors de la première conférence nationale des CDR, soulignent son inquiétude sur les nombreuses dérives de ces organismes. Il y dénonce certains CDR qui « deviennent de véritables terreurs pour les directeurs », épingle ceux qui « arborent tout un arsenal d’armes » et utilisent la menace et condamne ceux qui « ont fait des choses exécrables » et qui « ont profité de la patrouille pour piller note ».
Dans de nombreux villages, les CDR ne jouent pas non plus le rôle prévu et leurs élus sont soit les notables traditionnels, soit des hommes à leur service. Analysant l’évolution du pouvoir local villageois dans l’Ouest burkinabé, le sociologue Alfred Schwartz conclut à la continuité réelle sous l’apparence du changement, c’est-à-dire « à une subordination de fait du pouvoir “révolutionnaire” au pouvoir coutumier note ».
L’ampleur des changements effectués, le rythme intensif avec lequel les réformes sont menées, l’importance des efforts demandes, les rancœurs que suscitent ces bouleversements et l’absence d’élections toujours inquiétante dans un pays qui se revendique du « peuple » tendent à se coaguler pour nourrir une opposition diffuse qui gagne en audience et à reléguer au second plan les améliorations pourtant palpables pour la grande majorité. Quelques mois avant son assassinat, Sankara semble pourtant avoir acquis une vision plus réaliste de la situation. Dans son discours célébrant le quatrième anniversaire de la révolution, le 4 août 1987, il appelle à une pause des reformes afin « de tirer les leçons et enseignements de notre action passée pour […] nous engager davantage dans la lutte de façon organisée, plus scientifique et plus résolue » .
Sankara semble lui-même quelque peu dépasse par les événements, comme il le reconnaît avec humilité dans une interview télévisée :
« Je me retrouve un peu comme un cycliste qui grimpe une pente raide et qui a, à gauche et à droite, deux précipices. […] Pour rester moi-même, pour me sentir moi-même, je suis obligé de continuer dans cette lancée … »
Ces contradictions internes sont attentivement scrutées par les multiples adversaires extérieurs du régime sankariste. Du pouvoir malien, secoue par des agitations lycéennes et étudiantes en décembre 1985 et qui déclenche une nouvelle guerre contre le Burkina dans cette période, à celui de la Côte-d’Ivoire qui accueille les opposants burkinabé, nombreux sont les dirigeants des pays limitrophes que gène le bouillant président du Faso. La France, ancienne puissance coloniale, craint pour sa part ce dirigeant qui condamne ouvertement le franc CFA comme « une arme de la domination française » et la Francophonie comme « une stratégie néocolonialiste » .
Et qui, en plus de boycotter le sommet franco-africain de Lomé (novembre 1986), n’hésite pas à critiquer publiquement François Mitterrand. C’est le cas notamment lors de la visite officielle de ce dernier au Burkina Faso, en novembre 1986, lorsque Sankara critique, dans un style offensif qui rappelle le « non » de Sékou Touré à de Gaulle en 1958, la récente visite du président sud-africain Pieter Botha en France :
Nous n’avons pas compris comment des bandits comme [le guérillero angolais] Jonas Savimbi [et] des tueurs comme [le président sud-africain] Pieter Botha ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours.
Certes, personne ne peut encore dire de manière certaine qui sont les commanditaires de l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987, lors du coup d’État qui permet à Blaise Compaoré de prendre le pouvoir. En revanche, la question que Sankara lui-même posait à propos de l’assassinat du président mozambicain Samora Machel, décédé en octobre 1986 dans un accident d’avion, est pertinente dans son propre cas :
« Pour savoir qui a tué Samora Machel, demandons-nous qui se réjouit et qui a intérêt à ce que Machel ait été tué. » ( ) On ne peut alors que constater que la mort de Sankara et la politique de « rectification » lancée par Compaoré ont permit au système « françafricain », qui n’a cessé de se reproduire depuis les indépendances de 1960 (voir chapitre 6), de reprendre la main sur un pays qui risquait, sous l’impulsion de son révolutionnaire chef d’État, d’emmener ses voisins sur les chemins de l’insoumission.
Les causes qui ont fait émerger la révolution sankariste, à savoir l’oppression, l’exploitation et l’injustice, n’ayant pas disparu, il est peu probable que les principes que Sankara a tenté de mettre en pratique se perdent dans l’oubli. « On peut tuer un homme mais pas des idées », aimait-il lui-même à répéter.
Extrait du livre "Figures de la libération africaine. De Kenyatta à Sankara", Saïd Bouamama, Paris Zones, 2014.

mercredi 12 novembre 2014

Total et de Margerie : du pétrole et du gaz couleur de sang

La mort de Christophe de Margerie, Président Directeur Général du groupe Total, survenue le 20 octobre 2014 dans un accident d’avion, a été l’occasion d’un concert quasi-unanime de louanges pour l’homme et pour la multinationale qu’il dirigeait. C’est l’occasion pour nous de nous arrêter sur les activités de ce groupe, avant et pendant la présidence de Monsieur de Margerie. C’est également le prétexte que nous saisissons pour revenir sur quelques concepts de base ignorés du discours journalistique : impérialisme, capital financier, etc. Au-delà de la désinformation médiatique mais nous basant sur ces concepts ainsi que sur quelques faits précis, le pétrole et le gaz de Total apparaissent singulièrement tachés du sang des victimes de l’impérialisme français.

« Chaque goutte de pétrole est une goutte de sang »
Clémenceau

L’héritage de Total

A entendre nos médias classiques, les louanges à l’égard de Christophe de Margerie sont quasi-unanimes. François Hollande souligne qu’il « défendait avec talent l’excellence et la réussite de la technologie française à l’étranger (1) ». Manuel Valls, Emmanuel Macron et Jean Pierre Chevènement le qualifie de « grand capitaine d’industrie (2) ». Des propos similaires sont tenus à droite par Nicolas Sarkozy, par exemple, qui considère le PDG de Total comme « un homme qui avait apprivoisé la mondialisation (3) » ou au MEDEF par Pierre Gattaz qui salue « le visionnaire (4) », etc.
En prenant la direction du Groupe Total en 2007, Christophe de Margerie a pris la tête d’une multinationale déjà riche d’une longue histoire qu’il n’est pas inutile de rappeler. L’ancêtre de Total est la Compagnie Française de Pétrole créée en 1924 pour l’exploitation du pétrole du Moyen-Orient, qui diversifie progressivement ses activités en les étendant au gaz mais aussi au raffinage, à la distribution et à la chimie, et s’implante dans plus de 130 pays. La Compagnie devient Total-CFP en 1985, puis Total en 1991, Totalfina en 1999 après sa fusion avec Pétrofina et enfin Total-Fina-Elf après fusion avec Elf Aquitaine. La multinationale française fait partie des « majors » c’est-à-dire des six plus grandes compagnies pétrolières privées mondiales. Avec un chiffre d’affaires de 288,88 milliards de dollars et un bénéfice de 11, 20 milliards de dollars en 2013, elle est classée onzième dans le classement des 500 entreprises les plus importantes du magazine Fortune (5). Mais l’héritage de Total ne se limite pas à ces chiffres impressionnants. Il se trouve également dans des événements politiques auxquels Total a été mêlé. Donnons quelques exemples de cet héritage politique en commençant par l’attitude du groupe envers les régimes racistes d’Afrique du Sud et de Rhodésie.
La CFP est présente en Afrique du Sud depuis 1956. Devenue Total-CFP en 1989, la multinationale a des intérêts dans le pays du racisme officiel, dans les secteurs des mines, du charbon, de l’énergie solaire, des chemins de fer, de la distribution d’essence avec un réseau de 700 stations, etc. Elle est en outre fournisseuse de l’armée et de la police sud-africaine. Elle collabore au régime de l’apartheid jusqu’à la chute de celui-ci en lui permettant de contourner l’embargo pétrolier décidé par l’ONU en 1977.
« Les pipe-lines secrets sud-africains transportent bien du pétrole à l’aller, souligne Franck Teruel en 1989, au retour, ils amènent de l’uranium à Pierrelatte via Marseille. Ceci expliquant cela : l’Afrique du sud n’a jamais manqué de pétrole (6) ». Les associations anti-apartheid ciblent directement le groupe Total au cours de la décennie 80. En 1986, Sophie Passebois intitule un dossier spécial d’un titre éloquent : Total : le carburant de l’apartheid (7). Une vingtaine d’associations lancent à la même période une campagne intitulée « Pour le retrait de Total d’Afrique du Sud et de Namibie », dont le texte d’appel précise : « L’Afrique du Sud n’a pas de pétrole : c’est son « talon d’Achille ». Soumise à un embargo pétrolier, elle a besoin de la complicité des compagnies pétrolières occidentales comme Total (8). »
Les profits de Total de cette période sont liés aux crimes de l’apartheid en Afrique du Sud et en Rhodésie.
Au Cameroun, c’est la racine « Elf » de la multinationale que nous retrouvons en action dans la décennie 70. L’assassinat d’Um Nyobe par l’armée française a permis la transition vers un régime néocolonial entièrement inféodé à Paris. Le président Hamadou Ahidjo soutenu par Paris met en œuvre une répression sanglante de 1961 à 1971. La société Elf contrôle le secteur pétrolier et assure un soutien indéfectible au dictateur. « Elf Aquitaine, fauteur de fascisme (9) » titre l’écrivain camerounais Mongo Beti. Le successeur d’Ahidjo, Paul Biya, est aussi porté à bout de bras par la multinationale française. L’ancien directeur des « affaires générales » d’Elf le reconnaît lui-même :
« Un jour, j’étais reçu à la présidence camerounaise par le président Paul Biya. Il avait besoin de 45 millions pour sa campagne. J’étais seul avec lui, ces gars-là, ils ne font confiance à personne. Ils ont besoin de cash et ils ont besoin que ce cash échappe à leur ministre des Finances. C’est pour cela que le groupe Elf monte des off-shore qui échappent à tout contrôle (10) »
La situation est similaire en République du Congo où Sassou-Nguesso est porté à bout de bras par la multinationale. Ce dictateur ne doit son retour au pouvoir en 1997 qu’à une guerre civile de quatre mois entièrement financée par le groupe pétro-gazier. Le journaliste belge David Servenay affirme aussi que « les hommes d’Elf ont financés des trafics d’armes au Congo-Brazzaville (11) ». Le président d’honneur de la fédération des Ligues des Droits de l’Homme est encore plus explicite : « Le pétrole a bâillonné la démocratie. La société Elf, devenue Total, avec l’entier appui complice des autorités françaises, a manœuvré en coulisse pour s’assurer la mise en place d’un pouvoir congolais aussi bienveillant que compromis (12) ». Nous aurions pu également citer la guerre du Biafra et le soutien actif d’Elf à la rébellion (13) ou le Gabon d’Omar Bongo (14)
Au Cameroun, au Congo, au Nigeria ou au Gabon, comme dans beaucoup d’autres pays africains, Total est un faiseur de dictatures et de dictateurs.

La continuité de Christophe de Margerie

La présidence de Christophe de Margerie reste dans la continuité des pratiques antérieures de la CFP et d’Elf. Le soutien à la junte birmane commence avant de Marjorie mais se poursuit avec lui. La junte militaire était pourtant critiquée par l’Organisation Internationale du Travail en 2000 pour la pratique du travail forcé caractérisé comme « une forme contemporaine d’esclavage (15) ». La multinationale est présente en Birmanie depuis la signature en 1992 d’un contrat pour l’exploitation de la nappe de gaz du golfe de Martaban. Elle est également le principal investisseur du pays avec 31,24 % du total des investissements (16). Le groupe pétro-gazier ne nie même pas l’existence de travail forcé à son profit. Le président de son « comité d’éthique » déclare cyniquement en 2001 : « Lorsqu’un cas de travail forcé est porté à notre connaissance, nous nous efforçons d’apporter une compensation (17) ». Avec de Marjorie, la présence de Total se renforce encore. Le 3 septembre 2012, le groupe annonçait « avoir acquis 40 % dans un bloc d’exploration d’hydrocarbures au large de la Birmanie (18) ».
Pourtant le même déclarait en 2007 que « Total ne se retirerait pas de Birmanie » mais « qu’investir dans ce pays aujourd’hui serait une provocation (19). » Il est vrai que, depuis 2011, le gouvernement birman s’est donné une apparence plus présentable par la mise en place d’un « gouvernement civil ». Les militaires continuent d’occuper 25 % des sièges du parlement et de contrôler les secteurs clefs de l’économie. Les profits de Total avant et après la nomination de Christophe de Margerie sentent aussi l’esclavage contemporain.
Au Nigeria, Total développent ses activités par l’expulsion de plusieurs dizaines de milliers de paysans de la communauté EGI de leurs terres dans l’État Rivers (20). Le groupe pétrolier a d’ailleurs été nominé en 2014 par un collectif d’ONG pour le prix Pinocchio avec le commentaire suivant : « Au Nigeria, Total a réussi à imposer son empire en divisant les communautés locales et en multipliant les programmes « RSE », pour mieux cacher le désastre environnemental et l’accaparement de terres que provoquent ses projets pétroliers et gaziers (21). » Le prix est décerné à l’entreprise ayant mené la politique la plus agressive en termes d’appropriation, de surexploitation ou de destruction des ressources naturelles. Le groupe pétrolier peut se targuer d’être souvent nominé. Ainsi en 2008, il l’était dans la catégorie « mains sales poches pleines » et « plus vert que vert » et, en 2009, dans la catégorie « « Une pour tous, tous pour moi » et « mains sales poches pleines ». Total, sous la direction de Christophe de Margerie, doit une partie de ses profits à l’expulsion des paysans de leurs terres comme au temps béni des colonies.
Pour sa part, la précipitation du gouvernement français à intervenir en Libye ne peut pas ne pas être mise en lien avec les résultats de la guerre : « Qui était parmi les tout premiers Français à venir début mars à Benghazi encourager les insurgés libyens ? Un représentant de Total. Et l’entreprise peut aujourd’hui se frotter les mains : l’empressement de l’Elysée à reconnaître le CNT, comme à défendre l’intervention militaire, a fait rentrer le groupe dans les bonnes grâces du futur régime » fait justement remarqué le Journal l’Humanité du 24 août 2011.
Le ministre des Affaires Etrangères de l’époque était d’ailleurs limpide sur les réels buts de guerre : « On nous dit que cette opération en Libye coûte cher, mais c’est aussi un investissement pour l’avenir (22). » Enfin le journal Libération se faisait l’écho dans son édition du premier septembre 2011 (23) d’une lettre du Conseil National de transition promettant 35 % du brut libyen à l’État français.
Un pays plongé dans le chaos total et au moins 60 000 morts, voilà le coût des intérêts de Total sous la direction de de Margerie en Libye.
Arrêtons là l’énumération. Nous aurions pu souligner la coïncidence entre la découverte dans le bassin de Taoudenni (Chevauchant l’Algérie, la Maurétanie et le Mali) d’importantes réserves de pétrole et l’intervention française au Mali ou encore la coïncidence entre des contrats signés avec la Chine pour l’exploitation du pétrole centrafricain et l’intervention française dans ce pays. Le journal Le Canard Déchaîné commente ainsi la coïncidence malienne :
« Mais à en croire une source, généralement dans le secret des dieux, le Groupe français, Total, serait en train d’explorer les bassins pétroliers de Taoudéni. Avec « l’autorisation » des autorités maliennes. Du côté du ministère des Mines, le silence est assourdissant. Jugée gênante, la question est balayée du revers de la main.
Partout, la réponse, le même refrain : « Nous ne sommes pas au courant ! ».
Intervenue, militairement, le 11 janvier 2012, pour stopper l’avancée des djihadistes vers le sud, la France se voit attribuer des licences d’exploration, voire d’exploitation, du bassin pétrolier de Taoudéni. Sans débourser le moindre euro. Contrairement aux multinationales dûment mandatées. Et, plus grave, sans en informer les Maliens, propriétaires légitimes de ces gisements. On ne regrette d’avoir choisi la France que lorsqu’il est trop tard !! (24) »
Encore un malien adepte de la théorie du complot, diront les faiseurs d’opinions.

Questions de vocabulaire

Bien sûr Christophe de Margerie n’est pas le cœur du problème. Il n’était qu’un outil compétent au service d’intérêts plus puissants : ceux des actionnaires du groupe Total. Regardons donc de plus près le groupe et ses actionnaires. Il suffit de se souvenir des noms successifs du groupe pétrolier pour saisir le caractère monopolistique de Total. Les fusions successives avec Elf-Aquitaine et avec Pétrofina encouragées par l’État mettent le groupe Total en situation de monopole pour le secteur pétro-gazier français avec, pour l’année 2013, 104 milliards d’euros de capitalisation boursière (première capitalisation du CAC 40), un chiffre d’affaires de 189,542 milliards d’euros et un résultat de 8,44 milliards d’euros (25). La première caractéristique du groupe Total est bien son caractère monopolistique.
Regardons maintenant du côté des actionnaires. Rappelons que la création de la Compagnie Française de Pétrole (CFP), l’ancêtre de Total en 1924, est le fait de la Banque de Paris et des Pays Bas (elle-même ancêtre de l’actuelle BNP-Paribas) qui deviendra ultérieurement Paribas. La première banque française est à la fois un des leaders au monde du négoce de matières premières, et en particulier de pétrole et de gaz, et un partenaire privilégié de Total. Pour entrer dans son capital, le groupe Total conseille aux candidats de s’adresser à son « établissement financier mandataire, BNP Paribas Securities Services (26) ».C’est cette banque que Total mandate lorsqu’elle veut acheter ou vendre un gisement comme en septembre dernier pour la vente du gisement nigérian d’Usan (27).
Les intérêts des deux géants sont indissociables et illustrent ce qu’Hilferding et Lénine appelaient déjà le capital financier c’est-à-dire la « fusion ou l’interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion (28) ». La première caractéristique du capital de Total est bien d’être un capital financier.
Quant aux profits de Total, ils avoisinent des sommets depuis de nombreuses années : 13,9 milliards d’euros en 2008, 7,8 milliards en 2009, 10,28 milliards en 2010, 12,3 milliards en 2011, 10,7 milliards en 2012. L’utilisation de ces superprofits est elle-même significative. Total a reversé 34 milliards d’euros à ses actionnaires entre 2005 et 2010, soit en moyenne 45 % de ses bénéfices. En outre, le groupe ne paye aucun impôt sur les sociétés en France en 2010 et seulement 900 milliards en 2013. Que ce soit au niveau des montants des profits ou de leurs taux, c’est bien l’exigence d’un profit maximum que posent les actionnaires.
Monopole, capital financier et profit maximum, ces trois caractéristiques ressemblent étrangement à ce que Lénine appelait : l’impérialisme. Il est vrai que l’offensive idéologique des classes dominantes pousse à l’invention d’une novlangue libérale reprise en écho et en chœur par les journalistes des médias traditionnels : classe sociale devient catégorie sociale, conquête sociale se transforme en acquis sociaux et le gestionnaire de l’impérialisme qu’était de Margerie se mute en « capitaine d’industrie ».
Christophe de Margerie n’éveille en nous aucune compassion. Nous assumons de réserver notre tristesse et nos pensées aux multiples victimes de la course effrénée aux profits suscitant les guerres du gaz et du pétrole qui se succèdent les unes aux autres.

Notes :
1) François Hollande, communiqué de la présidence, AFP du 21 octobre 2014.
2) Manuel Valls, communiqué du premier ministre du 21 octobre 2014 ; Emmanuel Macron sur France 2 du 21-10-2014 ; Jean Pierre Chevènement à l’AFP le 21 octobre 2014.
3) Nicolas Sarkozy, BFM-TV du 21 octobre 2014.
4) Pierre Gattaz, communiqué du Medef du 21 octobre 2014.
5) La Tribune du 8 Juillet 2014.
6) Franck Teruel, Les Pipe-lines secrets, in apartheid : anatomie d’un crime d’État, Différences revue du MRAP, n° spécial apartheid, décembre 1989, p.44.
7) Sophie Passebois, Total : Le carburant de l’apartheid,Apartheid Non, N° 64, 1986.
8) Dépliant de la Campagne nationale pour le retrait de Total-CFP d’Afrique du Sud et de Namibie.
9) Mongo Beti, Lila Chouli, Mongo Beti à Yaoundé, Peuples Noirs, Paris, 2005, p. 315.
10) Alfred Sirven, Pasquac’estFouché, Bakchich, 4 août 2008.
11) David Servenay, Le soir de Bruxelles du 20 mars 2001.
12) Patrick Baudouin, préface au livre de Yitzhak Koula, Pétrole et violences au Congo-Brazzaville : les suites de l’affaire Elf, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 5.
13) François-Xavier Vershave, Chapitre Biafra pétrolo-humanitaire, La Françafrique : le plus long scandale de la République, Stock, Paris, 1998, pp. 137-153.
14) Pierre Péan, Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon, Fayard, Paris, 2014.
15) BIT Genève, rapport du directeur général, exécution du programme de l’OIT 2002-2003, Genève, 2004, p. 93 et 94
16) Jean claudePomonti, Le monde du 16 novembre 1996.
17) Erich Inciyan et Jean-Claude Pomonti, Kouchner, Total et la Birmanie, Le Monde du 6 janvier 2004.
18) Dépêche de l’AFP du 3 septembre 2012.
19) Christophe de Marjorie, entretien au Monde du 6 octobre 2007.
20) Jean-Philippe Demont-Pierot, Total(e) impunité, Respublica, Paris, 2010. p. 163.
21) Prix Pinochio, Livret de présentation des cas 2014, p. 4.
22) Alain Juppé, déclaration sur RTL, premier septembre 2011.
23) Vittorio de Fillipis, L’accord secret entre le CNT et la France, Libération du premier septembre 2011.
24) Oumar Babi, La France exploite-t-elle le bassin du Taoudéni ?, Le Canard Déchainé du 22 octobre 2014.
25) Consultable sur le site de Total : http://www.total.com/fr/groupe/vue-...
26) Total, Marche à suivre pour devenir actionnaire de Total, consultable sur le site de Total : http://www.total.com/fr/actionnaire...
27) Reuter France du 16 septembre 2014.
28) Lénine, L’impérialisme stade suprême du capitalisme, éditions sociales, Paris, 1969, p. 58.
Source : Investig’Action

« Aucun pays africain ne peut être Emergent avec le franc CFA »

Du 9 au 16 avril 2014, l’auteur du livre à succès Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique a donné, au Cameroun, une série de conférences sur les méfaits du franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA). Le Pr. Agbohou s’est rendu au Cameroun à l’invitation de l’association Action Sociale Africaine (ASA) qui œuvre depuis 2007 sur le continent pour l’amélioration des conditions de vie des Africains à travers trois axes prioritaires : la Santé, l’Agriculture/Alimentation et l’Education. Grâce à ASA qui a déjà installé trois bibliothèques au Cameroun, l’économiste ivoirien a donné trois conférences très courues dans toutes les principales universités de ce pays d’Afrique centrale (Douala, Dschang, Yaoundé). Cette interview a été réalisée à l’issue de ce périple. Le professeur Nicolas Agbohou y affirme sans ambages que le franc CFA plombe irrémédiablement l’économie des 15 pays africains qui utilisent cette monnaie de singe. Il explique le mécanisme du compte d’opérations et propose les solutions réalistes pour parvenir à la souveraineté monétaire de l’Afrique.

Journal de l’Afrique (JDA) : Qu’est-ce qui vous motive à parcourir le monde pour dénoncer les méfaits du franc CFA dans les économies africaines ?
Nicolas Agbohou : Plusieurs raisons : D’abord, je suis un Africain et en tant que tel je me sens interpellé par les problèmes de l’Afrique. Ensuite, je vois objectivement le danger qui arrive. Dans 36 ans, en 2050, l’Afrique aura 2 milliards d’habitants à nourrir. Il faut préparer la vie de ces 2 milliards de personnes. En d’autres termes, il faut changer de politique économique.
Or nous ne pouvons pas faire une politique économique sans la maîtrise de la monnaie. Donc, conscient de ce problème, je me suis appesanti sur le Franc CFA et après étude je me suis rendu compte que « franc CFA » voulait tout simplement dire « franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) ».
Pour continuer à piller l’Afrique après les indépendances formelles de 1960, le colon français a redéfini le franc CFA comme : le « franc de la Communauté Française d’Afrique). Mais c’est un simple maquillage !
Pourquoi estimez-vous dans votre livre que Le Franc CFA et l’Euro [sont] contre l’Afrique ?
Tout simplement parce que le franc CFA est d’origine nazie. Il s’agit d’un mécanisme mis sur pied pour permettre à la France de tirer profit non seulement des richesses naturelles, mais aussi du travail des Africains. Le franc CFA a été crée le 25 décembre 1945, conformément à l’article 3 du décret 45/0136 par le général De Gaulle. Et le franc CFA qui veut dire le franc des Colonies françaises d’Afrique est une monnaie purement coloniale inventée par et pour les intérêts des colons pour dévaster l’Afrique. La survivance du franc CFA n’est que la perpétuation de cet appauvrissement.
Il y a 30 ans, l’économiste camerounais Joseph Tchuidjang Pouemi dans son livre intitulé Monnaie, servitude et liberté, affirmait déjà que le franc CFA n’est qu’un instrument de « répression monétaire de l’Afrique ». A votre avis cette répression monétaire a-t-elle toujours cours ?
Elle a toujours cours ; car lorsqu’on regarde les institutions de la zone franc CFA, notamment le conseil d’administration des trois banques centrales, on voit que les Français y sont présents et disposent du droit de véto. Autrement dit ce n’est pas son utilisation qui fait problème, mais le franc CFA lui-même.
Son fonctionnement appartient à la France qui l’utilise pour ses propres intérêts et donc contre les intérêts des Africains. Aussi bien à la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) qu’à la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qu’à la Banque centrale des Comores (BCC), la France nomme des représentants qui disposent d’un droit de véto.
Autrement dit, si les Africains présents aux conseils d’administration de ces différentes banques décident de prendre des décisions qui défendent les intérêts de l’Afrique en touchant aux intérêts de la France, ces décisions ne pourront pas être validées puisque les Français voteront « contre ». Ce d’autant plus qu’il est clairement mentionné dans les textes régissant ces trois banques centrales que « les décisions se prennent à l’unanimité ».
Lorsqu’on parle du franc CFA, on évoque toujours le mécanisme du « compte d’opérations ». De quoi s’agit-il exactement ?
La zone franc CFA a quatre principes de fonctionnement :
1-La centralisation des réserves de changes qu’on appelle le compte d’opérations. 2-Le principe de la libre convertibilité des francs CFA en francs français hier et aujourd’hui en Euros. 3- Le principe de la fixité des parités. 4- Le principe de la libre transférabilité des capitaux de la zone franc CFA vers la France.
En ce qui est du compte d’opérations, disons qu’il est d’inspiration nazi. Il a été appliqué à la France par les nazis et après la Libération, le général De Gaulle a décidé de l’appliquer aux Africains depuis 1945. Conformément aux accords monétaires entre la France et l’Afrique, le principe de la centralité des réserves des changes fonctionne de la manière suivante les Africains doivent déposer, et ils le déposent effectivement, l’intégralité de leurs recettes d’exportation dans des comptes ouverts à la banque centrale de France.
De 1945 à 1973, quand les Africains exportaient par exemple les matières premières pour 100 milliards de dollars, ils déposaient tous les 100 milliards de dollars dans le Trésor français. De 1973 jusqu’en 2005, s’ils exportaient pour 100 milliards de dollars, les Africains étaient obligés de déposer 65 milliards au Trésor français dans le fameux compte d’opérations.
Depuis le 20 septembre 2005 jusqu’à la seconde où nous parlons (2014), on est passé à 50%. Ce qui veut dire que si les Africains exportent à hauteur de 100 milliards de dollars ou d’Euros, de Yuans, etc. ils sont tenus de déposer 50 milliards en France. S’en suivent plusieurs conséquences majeures :
Première conséquence majeure. Puisque le compte d’opérations est d’origine nazie, la France s’en est servie et s’en sert encore pour s’approvisionner gratuitement en matières premières africaines.
C’est-à-dire que la France dit aux Africains d’exporter les matières premières dont elle a besoin pour 100 millions d’euros par exemple. Lorsque les Africains ont exporté, au lieu de les payer, la France prend son stylo et écrit un signe PLUS dans le compte. Elle ne débourse aucune devise. Or si ce sont les Nigérians ou les Ghanéens qui exportent, la France est obligée de sortir 100 millions d’euros des coffres forts pour les payer.
Ce qui revient à dire que le jour où les Africains vont se débarrasser du franc CFA, la France sera obligée de débourser de l’argent pour payer directement et immédiatement l’intégralité de la facture des exportations.
Deuxième conséquence majeure. Puisque les Africains déposent des devises en France, celle-ci s’en sert pour combler son déficit budgétaire ou pour amortir, c’est-à-dire payer sa dette.
Troisième conséquence majeure. En contrôlant leurs devises, la France met les dirigeants africains au pas. Si un dirigeant de la zone CFA n’obéit plus aux ordres de la France, Paris bloque ses réserves de devises et mieux, il ferme les banques dans ce pays devenu « rebelle ». C’est ce que nous avons vu tout récemment en Côte-d’Ivoire avec Laurent Gbagbo. Et quand les banques sont fermées, aucun ménage, aucun chef d’entreprise ne peut sortir de l’argent pour nourrir sa famille ou payer les employés. En un mot, en fermant les banques, la France organise le chaos socio-économique. Et toute la population se rebelle contre le dirigeant.
C’est ce qui s’est passé avec Gbagbo. Ne pouvant plus prendre des devises à la France, il a décidé de créer la monnaie ivoirienne et à partir de là la décision a été prise pour le bombarder. Gbagbo n’est pas le premier et ne sera malheureusement pas le dernier. Avant lui, il y a eu Sylvanus Olympio du Togo dont la monnaie devrait être mise en circulation le 15 décembre 1963. Deux jours avant, exactement le 13 janvier 1963, il a été froidement assassiné.
Donc ces trois conséquences majeures ou plutôt ces trois avantages pour la France à savoir l’approvisionnement gratuit en matières premières africaines, l’utilisation des devises africaines pour son propre développement, une arme de mise au pas des dirigeants africains, constituent un puissant instrument utilisé par la France pour bloquer l’industrialisation de l’Afrique.
Au regard de tout ce que vous venez de dire on peut conclure que l’Emergence annoncée par les présidents africains relève d’une simple propagande politicienne…
Il s’agit d’une simple chimère. Aucun pays ne peut être émergent avec le franc CFA.
Quand vous quittez votre quartier pour allez en zone périphérique parce que vous touchez 100 000 F CFA et que vous êtes entrés dans une association qui vous prend 50 000 F CFA chaque fin du mois vous pensez raisonnablement que vous quitterez subitement ce quartier de pauvres pour entrer dans le quartier des riches ? Non. Tant que les pays africains continueront à payer un« impôt » de 50% de leurs revenus extérieurs à la France, l’émergence socio-économique ne sera jamais possible.
En 2013, dans un rapport commandé par le gouvernement de son pays, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine a proposé l’élargissement de la zone franc CFA à d’autres pays africains. Comment percevez-vous un tel projet et quelles en sont les chances de réussite ?
Disons qu’Hubert Védrine est dans son rôle puisque c’est celui qui contrôle la monnaie qui contrôle le pays. Ainsi, s’il y a 15 pays africains qui utilisent le franc CFA, ces pays sont tous sous le contrôle de la France. Et s’il y a d’autres pays qui, parce que mal informés entrent dans la zone CFA, ce sera une très bonne chose pour la France. C’est pourquoi M. Védrine invite les Nigérians, les Ghanéens et d’autres pays à entrer dans la zone CFA pour justement mieux les contrôler et prendre leurs énormes richesses. N’oubliez-pas que lorsque ces pays vont entrer dans la zone CFA, ils seront obligés de donner 50% de leurs énormes richesses à la France. On voit bien que le Nigéria n’est pas dans la zone CFA mais se porte mieux. Ce n’est pas au Nigéria que l’on meurt de faim ! Une fois de plus, Hubert Védrine est dans son rôle. Et il revient aux Africains de ne plus se laisser tromper.
Les pays africains qui n’ont pas le même niveau économique peuvent-ils avoir une monnaie commune ? Effectivement ils le peuvent parce que c’est la monnaie qui fait créer la richesse. Ce qui fait rouler la voiture c’est le carburant. Le carburant lui-même n’est pas la voiture. Mais c’est un produit indispensable qui fait rouler la voiture. Donc les pays africains, développés ou non développés peuvent avoir une monnaie commune. La monnaie est une pièce centrale dans le triangle de souveraineté. Vous avez la monnaie/économie, la défense et le droit positif qui constituent les angles de ce triangle de souveraineté.
Comment expliquez-vous la relative avancée économique des anciennes colonies anglaises sur le continent africain ?
Justement, ces pays travaillent pour eux-mêmes. Contrairement aux pays de la zone franc CFA, les pays anglophones ne travaillent pas pour l’Angleterre. C’est aussi simple que ça ! Les pays anglophones sont véritablement libres de l’Angleterre qui est parti après la décolonisation.
Comme vous le constatez très bien à l’échelle planétaire, tous les pays anciennement colonisés par l’Angleterre se portent nettement mieux que ceux de la zone franc CFA. La France n’est jamais partie. Au contraire, au fur et à mesure que le temps passe, la France est omniprésente dans les économies africaines ; toujours avec le même prétexte : « nous sommes là pour aider les Africains ». Et les Africains au lieu de se réveiller ne font que s’endormir…
Le franc CFA est-il la cause de la déliquescence du système éducatif africain qui se caractérise par des effectifs pléthoriques ?
Très bien. L’exemple d’un ménage qui gagne 100 000 F CFA que nous avons pris plus haut est assez illustratif ici. Quand l’Etat se voit privé de 50 % de sa richesse à travers le compte d’opérations, les dépenses sur l’éducation nationale et les hôpitaux diminuent. C’est ce compte d’opérations qui explique les budgets squelettiques de l’éducation nationale dont vous parlez. Au lieu de construire beaucoup d’écoles, l’Etat en construit moins !
Vous comprenez maintenant pourquoi les hôpitaux deviennent des mouroirs en Afrique francophone. Lorsque vous regardez les moyens de transport collectif, les gens sont entassés les uns sur les autres comme des sardines dans une boite de conserve. Ce n’est pas un hasard parce que les moyens importants qui devraient être utilisés pour le transport sont donnés à la France.
Est-ce qu’il vous arrive de parler de ces méfaits du franc CFA avec des hommes d’Etat africains et qu’est-ce qui vous en disent ?
J’ai rencontré quelques dirigeants africains dont Mathieu Kerekou à l’époque président du Benin. Il m’a dit qu’il ne connaissait pas ce système. Il en était totalement ignorant. J’en ai parlé avec le gouverneur de la BCEAO, Konan Banny qui m’a dit qu’il m’invitera pour que je puisse en discuter avec ses collaborateurs. J’ai rencontré Mamadou Koulibaly à l’époque président de l’Assemble nationale de Côte-d’Ivoire. Sans oublier les présidents Laurent Gbagbo et Jacob Zuma. Lorsque j’ai expliqué le fonctionnement du franc CFA au président sud-africain, Jacob Zuma, il n’en revenait pas. Et il a déclaré ceci : « c’est exactement de la colonisation. Car c’est lorsque vous êtes une colonie que vous payez des impôts au pays colonisateur ! ».
La plupart de pouvoir d’Etat obtenu dans la zone franc CFA, vient directement de Paris. Les dirigeants qui sont portés au pouvoir par cette voie là ne peuvent pas se révolter contre leur employeur. On va vous dire démocratie par-ci ; mais vous savez que ne vient pas au pouvoir qui veut. C’est Gbagbo qui a fait l’exception qui confirme la règle. Et on sait comment il a fini !
Comment sortir de cette situation qui a tout l’air d’une impasse monétaire pour les pays de la zone franc CFA ?
En prenant conscience que cette monnaie nuit gravement à leur bien être socio-économique, les Etats africains doivent tout simplement se retirer de la zone CFA. Et en lieu et place, battre une monnaie typiquement africaine, gérée par et pour les intérêts des Africains. Ainsi, les pays africains vont éliminer la France dans leur gestion et toutes les devises qu’ils vont gagner vont rester en Afrique. Elles seront utilisées pour pouvoir importer des équipements dont les Etats africains ont besoin pour s’industrialiser. Ainsi, ils transformeront eux-mêmes les matières premières africaines en Afrique.
Je dois absolument préciser que pour créer une monnaie on a besoin de trois jours. Pas plus. Le premier jour, le gouvernement prend la décision de créer la monnaie et fait un projet de loi qu’il envoie au parlement. Le lendemain, c’est-à-dire de deuxième jour, les parlementaires approuvent. Le troisième jour, on déclenche les machines à l’imprimerie et la monnaie est créée.
Il faut que les Africains se réveillent. Qu’ils comprennent que c’est celui qui domine la monnaie qui domine tout le pays. Il est temps que chaque jeune, où qu’il se trouve s’engage dans ce débat en intégrant le Mouvement pour la Souveraineté économique et Monétaire Africaine (Mosema). Créé en Côte-d’Ivoire, le Mosema installe ses sections partout en Afrique.Nous sommes persuadés que si les jeunes comprennent cela, un moment viendra où ils vont déclencher un mouvement de contestation des institutions de la zone franc CFA simultanément pendant une semaine dans tous les 15 pays de la zone CFA. Ce qui va aider ou contraindre les dirigeants à prendre la bonne décision. Ils vont constater que partout on conteste le franc CFA et ils n’auront plus d’autre choix que de créer une monnaie africaine.
Voulez-vous nous dire que le franc CFA n’est pas une fatalité pour les 15 pays qui l’utilisent depuis tant d’années malgré sa nocivité ?
La force du franc CFA provient de l’ignorance des Africains. Je les comprends. Le franc CFA n’est pas inscrit dans les programmes scolaires et même universitaires.
Mais, dans la vie il faut retenir une chose : c’est l’esclave qui se libère lui-même de son esclavagisme. C’est l’opprimé qui se libère de son oppresseur. La liberté, peu importe qu’elle soit économique ou politique s’arrache. Elle ne se donne pas. Donc il appartient aux Africains de prendre conscience des méfaits du franc CFA et de se révolter pour liquider cette monnaie de singe.
Il n’y a pas de fatalité. Chaque génération à sa lutte. Celle de la génération actuelle est de liquider le franc CFA et de mettre en place une monnaie africaine contrôlée par les Africains et pour les intérêts des Africains. Pour sortir, Je tiens à préciser que pour créer une monnaie, je le répète, il faut trois jours. Pas plus. Le premier jour, le gouvernement prend la décision de créer la monnaie et saisi l’Assemblée nationale à travers un projet de loi. Le deuxième jour, les députés examinent et approuve le projet de loi. Le troisième jour, la loi est promulguée et on actionne les machines à l’imprimerie. La monnaie est disponible. Le pays a sa monnaie et en use pour son développement.
Nous connaissons des pays africains qui ne sont pas dans la zone CFA, mais ne se portent pas mieux économiquement…
Vous avez raison. On vous dira d’ailleurs qu’un pays comme la Guinée Conakry par exemple a décidé de sortir de la zone CFA avec Sekou Touré mais n’a pas réussi à construire une économie forte. C’est un fait. Mais, pour le cas de la Guinée, on oublie toujours de dire que la France a inventé la fausse monnaie qu’elle a déversée au pays de Sekou Touré, l’homme qui a osé s’opposé au général De Gaulle en disant NON à la communauté française en 1958. Il avait dit que les Guinéens préféraient la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. Depuis lors la France a décidé de saboter ses actions.
Parlant des pays africains qui utilisent leur propre monnaie mais ne sont pas développés, il faut dire qu’ils n’appliquent pas le deuxième principe qui est la transformation locale des matières premières. Après la création de la monnaie, les Etats africains doivent obligatoirement créer de la valeur ajoutée en transformant les matières premières agricoles, minières et énergétiques sur le continent. Cette transformation conduira à l’industrialisation de l’Afrique et à la création des emplois pour les Africains.
Source : Le Journal de l’Afrique n° 003, 24 octobre 2014, Investig’Action

Burkina: Blaise compaoré chassé du pouvoir après 27 ans de règne

Par AFP - 31/10/2014

Ancien militaire putschiste, le président burkinabè Blaise Compaoré, 63 ans, a été à son tour victime d'un coup d'Etat


Ancien militaire putschiste, le président burkinabè Blaise Compaoré, 63 ans, a été à son tour victime d'un coup d'Etat jeudi, l'armée prenant le pouvoir au Burkina Faso après une journée d'émeutes contre le régime.

En 27 ans de règne, Blaise Compaoré s'est imposé comme un incontournable médiateur dans les crises africaines, mais il n'a pas su gérer la contestation populaire dans son propre pays, restant silencieux jusqu'à ce que l'armée annonce la dissolution des institutions et la mise en place d'un régime de transition.

Fidèle à sa réputation d'homme secret, M. Compaoré a longtemps tardé à dévoiler ses intentions, mais l'annonce d'un projet de révision constitutionnelle qui lui permettrait de se représenter à la présidentielle en 2015 a jeté des centaines de milliers de Burkinabè refusant un "président à vie" dans la rue. En octobre encore, le président français François Hollande proposait pourtant de le soutenir pour un poste international s'il renonçait à ce projet, en vain. Mais Blaise Compaoré se jugeait "trop jeune pour ce genre de job".

"Je n'ai pas envie d'assister à l'effondrement de mon pays pendant que je me repose ou parcours le monde", avançait-il dans un entretien en juillet à l'hebdomadaire Jeune Afrique: il s'y montrait peu empressé de prendre sa retraite, se posant en garant de la stabilité de ce pays sahélien très pauvre.

Né le 3 février 1951 à Ouagadougou, appartenant à l'ethnie mossi, la plus importante du pays, le "beau Blaise", ex-capitaine au physique avantageux, a 36 ans lorsqu'il prend le pouvoir en 1987 par un coup d'Etat, le troisième auquel il participe. Au cours de ce putsch est tué son frère d'armes et ami d'enfance, le capitaine Thomas Sankara, père de la "révolution démocratique et populaire".

Après la "rectification" au début de son règne, destinée à tourner la page des années Sankara et marquée par l'élimination d'opposants, Blaise Compaoré quitte l'uniforme et, en 1991, rétablit le multipartisme. Cela ne l'empêche pas de modifier deux fois l'article 37 de la Constitution définissant le nombre de mandats présidentiels et leur durée.

En 1991, la Loi fondamentale instaure l'élection du président pour sept ans, renouvelable une fois. L'expression "une fois" est supprimée en 1997, permettant un exercice du pouvoir à vie. Mais "l'affaire Zongo", du nom d'un journaliste retrouvé mort, avec trois autres personnes, alors qu'il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du président, provoque une grave crise politique peu après sa réélection en 1998.


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Médiateur de crises ouest-africaines
En 2000, la Constitution est amendée: le septennat devient quinquennat, renouvelable une fois. Le Conseil constitutionnel autorise toutefois la candidature de Blaise Compaoré en 2005, au nom de la non-rétroactivité d'une révision de la Loi fondamentale.

M. Compaoré devait terminer en 2015 son deuxième quinquennat, après avoir effectué deux septennats (1992-2005). Le projet de loi qui a enflammé le Burkina prévoyait de faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Selon ses détracteurs, ce changement aurait permis au président du "pays des hommes intègres" d'ajouter 15 ans de plus aux 28 qu'il aura déjà vécus au sommet de l'Etat.

Blaise Compaoré, qui figurait en sixième position des présidents africains en terme de longévité, est crédité d'avoir placé son petit pays enclavé au cœur de la diplomatie africaine, en s'imposant comme l'un des grands médiateurs dans les crises qui agitent le continent.

Il dispose d'une solide image à l'étranger, notamment en France, malgré des trafics d'armes et de diamants avec les insurrections angolaise et sierra-léonaise épinglés par l'ONU ou sa proximité avec le défunt "Guide" libyen Mouammar Kadhafi et le dictateur libérien Charles Taylor. Il fait actuellement office de médiateur au Mali.

C'est surtout en interne que le pouvoir du dirigeant burkinabè a été le plus sérieusement contesté. De mars à juin 2011, la quasi-totalité des casernes, y compris la garde prétorienne du chef de l'Etat, s'étaient mutinées, parallèlement à des manifestations populaires, ébranlant le régime et forçant le président à quitter momentanément la capitale.

"Lui et son entourage lisent très mal les mutations psychologiques et sociales de la population. Ils continuent à penser que les choses sont comme dans le passé et qu'il est toujours assez fort. Mais en réalité, la confiance, le soutien dont il bénéficiait se sont estompés", estime Siaka Coulibaly, politologue plutôt proche de l'opposition.

Au Burkina, où 60% des 17 millions d'habitants ont moins de 25 ans et n'ont jamais connu d'autre régime, une grande partie de la jeunesse, surtout dans les villes, refuse une perpétuation de son pouvoir. Blaise Compaoré était par ailleurs impopulaire auprès de nombreux Burkinabé et pan-africanistes pour l'exécution, qu'il a toujours nié, de Thomas Sankara, père du Burkina Faso et égérie de la lutte contre le néocolonialisme.

Moctar le panafricain

Moctar Le Panafricain vous souhaites la bienvenue sur le blog jeunesse africaine,un blog pan-africaniste pour l'Afrique et par la jeunesse africaine pour être au cœur de l'actualité africaine et internationale.