samedi 20 juin 2015

Futurs champs de bataille des États-Unis d’Amérique en Afrique

Vêtus par un kaléidoscope de modèles de camouflage, ils ont passé trois jours entassés dans une base militaire de Floride. Ils appartenaient au Commandement d'Opérations Spéciales des États-Unis (SOCOM) et au Commandement d'Opérations Spéciales de l'Armée des États-Unis. Il y avait aussi des forces de la France, de la Norvège, du Danemark, de l'Allemagne et du Canada : 13 pays au total. Ils sont venus projeter une campagne militaire « centrée sur des opérations spéciales » avec l'appui de forces conventionnelles, une opération multilatérale qui – en cas de réalisation – pourrait coûter des centaines, peut-être des milliers de millions de dollars et, qui sait, combien de vies.



2044 ou le revers

Demandez aux participants et ils parleront de prendre en compte les « sensibilités » et les « différences culturelles », l’importance de la « collaboration » et de la « coordination », la valeur de la diversité d’opinions, les « perspectives » et les « associations ». Cependant, à huis clos et sans que le sache la majorité de la population de leurs propres pays, nous ne dirions pas celle des pays qui sont désignés comme objectifs, un petit groupe de stratèges d’opérations spéciales occidentales ont ébauché un « futur militaire multilatéral » pour une région d’Afrique pleine de problèmes.

Entre le 13 et le 15 janvier (2015), des représentants des États-Unis d’Amérique et de 12 pays alliés se sont réunis sur la base aérienne MacDill à Tampa, Floride, pour réaliser un exercice nommé « Silent Quest 15-1 ». Le scénario fictif dans lequel ils ont présenté leur jeu de guerre a fait les titres des journaux. C’était un amalgame de deux catastrophes, réelles et en cours, de politique extérieure et de contre-terrorisme de l’époque post 11-S : le développement de Boko Haram au Nigeria et l’apparition de l’État Islamique, aussi connu comme l’État Islamique d’Irak et du Levant ou d’EIIL [Daech]. Le jeu de guerre fut axé sur l’apogée imaginaire d’un groupe nommé « État Islamique d’Afrique » et l’étendue de son proto-califat à des parties du Nigeria, du Níger, et du Cameroun, pays victimes de la terreur de Boko Haram, qui vient de jurer sa loyauté à l’État Islamique. « Silent Quest 15-1 » a été le dernier d’une série d’exercices – le premier a eu lieu en mars 2013 – élaborés pour tracer les plans d’intervention des forces d’opérations spéciales pour la décennie suivante. Ce jeu de guerre n’a pas été un jeu du style paintball. Il n’y a pas eu de fusillades simulées, ni de répétition générale. Cela ne fut pas l’équivalent belliqueux de cette version du football-américain qui se joue sans placages. C’était un exercice théorique de simulation à partir de quelque chose de trop réel : la panoplie croissante d’activités militaires des États-Unis et de leurs alliés dans des zones de plus en plus étendues de l’Afrique. En parlant de ce continent, Matt Pascual, l’un des participants de l’opération et le responsable pour l’Afrique du Groupe d’Appui Euro-Afrique du SOCOM, a remarqué que les États-Unis et leurs alliés traitaient déjà « une myriade de sujets » régionaux et, peut-être le plus important, que beaucoup de pays participants « sont déjà là ». Le pays qui « est déjà là » avec une plus grande présence que le reste est, bien sûr, celui de Pascal : Les États-Unis d’Amérique.

Durant les dernières années, les États-Unis ont été impliqués dans diverses interventions multilatérales en Afrique, y compris une en Libye. Ce qui suppose une guerre secrète et une campagne conventionnelle de missiles et de raids aériens, l’assistance aux forces françaises en République Centrafricaine et au Mali et l’entraînement et le financement de partenaires africains pour s’attaquer à des groupes combattants comme Boko Haram, al-Shabab en Somalie et Ansar al-Dine au Mali. En 2014, les États-Unis ont mené 674 actions militaires en Afrique, presque deux missions par jour, et un bond de presque 300 % dans le nombre d’opérations, d’exercices et d’activités annuelles de formation dans le domaine militaire et non militaire depuis la création du Commandement pour l’Afrique des États-Unis (AFRICOM) en 2008.

Malgré l’avalanche de missions et une augmentation similaire des bases, du personnel et du financement, le panorama dépeint le mois dernier devant le Comité des Services Armés du Sénat par le général David Rodriguez, commandant de l’AFRICOM, fut étonnamment affligeante. La vision proposée par Rodriguez était celle d’un continent en crise, menacé de l’est à l’ouest par les groupes combattants qui s’étaient développés et renforcés, ou bien qui avaient étendu leur portée mortelle malgré les efforts antiterroristes des États-Unis.

Rodriguez a dit aux membres du comité que « des terroristes et des réseaux criminels transrégionaux s’adaptaient et s’étendaient d’une manière agressive ». « Al-Shabab a élargi ses opérations pour diriger, ou pour essayer de diriger, des attaques asymétriques contre l’Ouganda, l’Éthiopie, Djibouti et surtout le Kenya. La menace libyenne augmente rapidement, incluant la présence de plus en plus étendue de l’EIIL… Boko Haram menace la capacité du Gouvernement du Nigeria à garantir la sécurité et les services de base dans de vastes zones du nord-est ». Cependant, malgré leurs mauvais résultats depuis que l’Armée US a commencé à « pivoter » vers l’Afrique après le 11-S, les États-Unis d’Amérique viennent de signer un accord pour maintenir leurs troupes sur le continent pratiquement jusqu’au milieu du siècle actuel.

Elargissement de la mission

Pendant des années, l’Armée des USA a publiquement insisté sur le fait que ses efforts en Afrique étaient insignifiants, maintenant intentionnellement les Etats-uniens, pour ne pas parler de la majorité des Africains, dans l’ignorance quant à la véritable ampleur, la dimension et la portée de ses opérations sur le continent. Tant le personnel que ceux qui dirigent les questions publiques d’AFRICOM, tous ont insisté sur le fait qu’il ne s’agissait que d’une « intervention modérée ». Ils évitent de parler des campements militaires et des postes avancés, affirmant qu’ils ont seulement une base dans un endroit en Afrique : le Camp Lemonnier, dans le petit Djibouti. Cela ne leur plaît pas de parler des opérations militaires : ils offrent seulement une information détaillée sur une fraction minuscule de leurs exercices d’entraînement. Et voilà qu’ils se refusent à révéler les endroits où se trouve le personnel, ou même le nombre de pays impliqués.

Lors d’un entretien, un porte-parole d’AFRICOM m’a parlé à un moment donné de sa préoccupation : si le nombre de déploiements effectués en Afrique était encore dévoilé, cela donnerait une « image biaisée » de l’intervention US. À huis clos cependant, les dirigeants d’AFRICOM utilisent un langage assez différent. À plusieurs reprises, ils ont déclaré que le continent est un « champ de bataille » US et que – nous ne nous trompons pas – ils sont déjà embourbés dans une « guerre ».

Selon des chiffres récents du Commandement pour l’Afrique des États-Unis, la portée de cette « guerre » a spectaculairement progressé en 2014. Dans sa « déclaration de posture », AFRICOM déclare qu’il a mené 68 opérations au cours de l’ année dernière, dépassant les 55 opérations de l’année précédente. Parmi elles, les opérations « Juniper Micron » et « Echo Casemate », destinées à appuyer les missions françaises et africaines au Mali et en République Centrafricaine, « Observant Compass », la tentative de dégrader ou de détruire ce qui restait de la sanguinaire Armée de la Résistance du Seigneur de Joseph Kony en Afrique Centrale et « United Assistance » , le déploiement d’effectifs militaires pour faire face à la crise de l’Ébola en Afrique de l’Ouest.

Le nombre d’exercices conjoints sur le terrain auxquels ont participé les forces US et leurs associés militaires africains sont passés de 10 en 2013 à 11 l’année dernière, y compris « African Lion » au Maroc, « Western Accord » au Sénégal, « Centrale Accord » au Cameroun et le « Southern Accord » au Malawi. Toutes les unités ont eu une formation sur le terrain et ont servi d’appui à des opérations d’instruction militaire entre armées de l’année précédente.

AFRICOM a aussi dirigé des exercices de sécurité maritime, comme l’« Obangame Express » dans le Golfe de Guinée,« Saharan Express » en face des côtes du Sénégal et a assuré trois semaines de formation en matière de sécurité maritime faisant partie de l’exercice multilatéral « Phoenix Express 2014 », avec des marins de nombreux pays dont l’Algérie, l’Italie, la Libye, Malte, le Maroc, la Tunisie et la Turquie.

Le nombre d’activités de coopération en matière de sécurité s’est envolé de 481 en 2013 à 595 l’année dernière. Ces initiatives ont inclus l’instruction militaire dans un « programme de collaboration étatique » qui a regroupé des forces militaires africaines avec des unités de la Garde Nationale états-unienne et du personnel du programme Africa Contingency Operations Training & Assistance (ACOTA) financé par le Département d’État, un programme à travers lequel les conseillers et les instructeurs militaires US offrent matériel et formation militaire aux troupes africaines.

En 2013, le nombre total des activités états-uniennes sur le continent a été de 546, soit en moyenne plus d’une mission quotidienne. L’année dernière, le chiffre s’est élevé à 674. En d’autres mots, les troupes US ont réalisé presque deux opérations, exercices ou activités diverses tous les jours – depuis des attaques avec des drones jusqu’à de la formation en contre-insurrection, des opérations d’information et des pratiques de tir – quelque part en Afrique. Cela représente une augmentation conséquente si nous comparons les chiffres avec les 172 « missions, activités, programmes et des exercices » dont l’AFRICOM a hérité d’autres commandements géographiques quand il a commencé ses opérations en 2008.

Des groupes terroristes transnationaux : sortis de nulle part

En 2000, un rapport réalisé sous la supervision de l’Institut des Études Stratégiques de l’École de Guerre de l’Armée des États-Unis examinait « l’environnement de sécurité en Afrique ». Bien qu’il y fut fait référence aux « mouvements rebelles ou aux séparatistes internes » dans les « états faibles » et aux acteurs non étatiques, comme les milices et les « armées des seigneurs de la guerre », il semble étonnant qu’il n’y soit pas mentionné l’extrémisme islamiste ni les menaces terroristes transnationales les plus importantes. Avant 2001 en fait, les États-Unis ne reconnaissaient aucune organisation terroriste subsaharienne en Afrique et un haut fonctionnaire du Pentagone a signalé que les combattants islamiques les plus à craindre du continent « n’avaient pas été engagés dans des actes de terrorisme en dehors de la Somalie ».

À la suite de 11-S, même avant que l’AFRICOM ne fût créé, les États-Unis ont commencé à augmenter le nombre des opérations sur le continent, tentant de renforcer les capacités contre-terroristes de leurs alliés et d’isoler l’Afrique des groupes de terroristes transnationaux c’est-à-dire extrémistes islamiques globe-trotters. En d’autres mots, le continent était vu comme quelque chose de semblable à une page blanche pour tester des mesures de prévention du terrorisme.

Depuis ce temps-là, on a injecté des milliers de millions de dollars en Afrique pour construire des bases, pour armer des alliés, pour obtenir de l’information, pour mener des guerres pour le pouvoir, pour assassiner des combattants et pour diriger peut-être des milliers de missions militaires, sans que rien de tout cela n’ait eu l’effet désiré. L’année dernière par exemple, selon l’AFRICOM, les combattants somalis « ont projeté ou ont commis des attentats mortels de plus en plus complexes en Somalie, au Kenya, en Ouganda, à Djibouti et en Éthiopie ». Au début du mois, les mêmes combattants de al-Shabab ont franchi un pas en massacrant 147 étudiants dans une université du Kenya.

L’augmentation meurtrière et l’étendue de al-Shabab peut difficilement se considérer comme une exception en Afrique. Dans une récente intervention devant le Comité des Services Armés du Sénat, le commandant de l’AFRICOM, David Rodriguez, a rapidement prononcé les noms de nombreux groupes terroristes islamiques qui sont apparus toutes ces années, déstabilisant précisément les pays que les États-Unis avaient essayés de renforcer. Dans cette déclaration, il fit le maximum pour présenter sous leur meilleur jour les efforts militaires de Washington en Afrique, y compris en donnant une lecture rapide du – et cela vaut la peine de la citer in extenso – panorama désolant de ce que le « pivot » vers l’Afrique a signifié jusqu’à présent sur le terrain. Quelques paragraphes extraits du document précisent cependant :

« Le réseau de Al-Qaida et ses affiliés et adeptes continuent d’exploiter les régions d’Afrique qui se trouvent pratiquement sans gouvernement et de profiter de leurs frontières poreuses pour préparer et mener des attentats. L’État Islamique d’Irak et du Levant étend sa présence au nord de l’Afrique. Des terroristes aux filiations multiples élargissent leur collaboration dans les captation, financement, entraînement et opérations, tant au sein de l’Afrique que trans-régionalement. Des organisations extrémistes violentes utilisent des appareils explosifs improvisés de plus en plus sophistiqués, et le nombre de victimes à cause de ces armes en Afrique a augmenté à peu près de 40 % en 2014… Au nord et à l’ouest de l’Afrique, l’insécurité en Libye et au Nigeria menace de plus en plus les intérêts des États-Unis. Malgré les efforts multilatéraux en matière de sécurité, les réseaux terroristes et criminels accumulent des forces et ont obtenu une plus grande interopérabilité. Al-Qaida au Maghreb Islamique, Ansar al-Sharia, al-Murabitun, Boko Haram, l’État Islamique d’ Irak et du Levant, et d’autres organisations extrémistes violentes profitent des gouvernements faibles, des dirigeants corrompus et des frontières poreuses du Sahel et du Maghreb pour s’entraîner et pour mobiliser des combattants et distribuer des ressources… La menace libyenne sur les intérêts états-uniens augmente… L’année dernière, le gouvernement, la sécurité et la stabilité économique se sont détériorés de manière significative dans ce pays. Actuellement, des groupes armés contrôlent de grandes zones du territoire libyen et agissent impunément. La Libye semble devenir un paradis sûr où les terroristes, y compris Al-Qaida et les groupes adhérents à l’État Islamique d’Irak et du Levant, peuvent s’entraîner et se refaire impunément. L’État Islamique d’Irak et du Levant est de plus en plus actif en Libye, y compris à Derna, Bengasi, Tripoli et Sebha… Les effets secondaires de l’instabilité en Libye et au nord du Mali font peser un risque sur les intérêts des Etats-Unis d’Amérique en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, y compris sur la réussite de la transition démocratique en Tunisie… La sécurité au Nigeria a aussi empiré l’année dernière. Boko Haram menace le fonctionnement du gouvernement, qui est confronté au défi de garder la confiance de son peuple et de garantir la sécurité et d’autres services basiques… Boko Haram a lancé des attaques à travers la frontière du Nigeria contre le Cameroun, le Tchad et le Níger… … la République Centrafricaine et la République Démocratique du Congo courent le risque que des groupes d’insurgés génèrent une plus grande déstabilisation. Il est possible que des tensions ethniques latentes dans la région des Grands Lacs éclatent violemment dans la République Démocratique du Congo ».

Tout cela, selon l’évaluation de la situation du continent faite par l’AFRICOM, qui a mené son un travail pendant presque une décennie, au fur et à mesure qu’augmentaient les missions états-uniennes. Dans ce contexte, il vaut la peine de rappeler qu’avant que les États-Unis ne redoublent d’efforts, l’Afrique était – selon la propre évaluation de Washington – relativement exempte de groupes terroristes islamiques transnationaux.

Faire pencher la balance en Afrique

Bien que Boko Haram jure loyauté à l’État Islamique et malgré les titres alarmistes des quotidiens regrettant leur fusion ou les mélangeant avec d’autres groupes terroristes qui agissent sous des noms semblables , actuellement il n’existe aucun État Islamique de l’Afrique. Mais le jeu de guerre qui a été mis en scène sur la base aérienne MacDill en janvier contre ce groupe imaginaire n’est pas de l’imagination, il représente une étape logique dans une série d’opérations qui se sont fortement accrues depuis la création de l’AFRICOM. Et, dissimulée dans sa Déclaration de Posture 2015, une information peut quand même être décelée, à savoir que les manœuvres vont continuer jusqu’en 2040.

En mai 2014, les États-Unis ont signé un accord – nommé « accord d’application » – avec le Gouvernement de Djibouti « qui assure [sa] présence » dans ce pays « jusqu’en 2044 ». De plus, les dirigeants de l’AFRICOM parlent maintenant de la possibilité de construire une chaîne de postes de surveillance le long de la frange nord du continent. N’oublions pas que, durant ces dernières années, les zones d’action, mini bases et aérodromes US ont proliféré dans des pays limitrophes comme le Sénégal, le Mali, le Burkina, le Niger, et – en sautant le Tchad (où récemment l’AFRICOM a construit des installations temporaires pour des exercices de forces d’opérations spéciales) – la République Centrafricaine, le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Kenya et l’Éthiopie. Tout ce qui suggère que l’Armée des Etats-Unis se cramponne pour rester en Afrique longtemps.

« Silent Quest 15-1 » a été dessiné comme un modèle pour démontrer comment Washington mènera la guerre de coalition « centrée sur des opérations spéciales » en Afrique. En fait, comme le sergent d’Artillerie Reina Barnett l’a écrit dans la publication spécialisée du SOCOM « Tip of the Spear », elle a été programmée conformément « au Guide de Planification 2015 du général de division James Linder, le commandant des Opérations Spéciales des États-Unis en Afrique ». Et l’accord avec Djibouti démontre que l’Armée des États-Unis fait des plans pour presque un quart de siècle. Mais si les six dernières années – marquées par une augmentation de 300 % du nombre de missions US, et par l’étendue du terrorisme et des groupes terroristes en Afrique – indiquent quelque chose, il est probable que les résultats ne soient pas du goût de Washington.

Le commandant de l’AFRICOM, David Rodriguez, continue de présenter de la meilleure manière possible les efforts US en Afrique, citant « une avancée dans plusieurs domaines, grâce à la collaboration étroite avec nos alliés et associés ». Cependant, l’évaluation de la situation de la part de l’AFRICOM semble très peu encourageante. « Là où nos intérêts nationaux nous obligent à faire pencher la balance et à améliorer les réussites collectives en matière de sécurité, peut-être devons-nous travailler plus, en préparant bien nos alliés et associés, ou bien en agissant unilatéralement », peut-on lire dans la déclaration de posture que Rodriguez a présentée au comité du Sénat.

Cependant, après plus d’une décennie d’augmentation des efforts, peu de preuves existent de ce que l’AFRICOM ait la moindre idée de comment faire pencher la balance en sa faveur en Afrique.

Source originale en anglais : «  The U.S. Military’s Battlefield of Tomorrow  », TomDispatch.

Traduit de l’anglais pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

Pourquoi l’Occident devient de plus en plus agressif en Afrique ?

Le  Soudan, la Côte-d’Ivoire, la Libye, la RCA, le Mali sont les nouveaux laboratoires de l’agressivité d’un capitalisme occidental en crise structurelle depuis 2008. Pourquoi l’Occident qui ne s’est jamais comporté en enfant de chœur devient-il encore plus agressif en Afrique ? C’est parce que ce continent, qui était considéré depuis le 19ème siècle comme une réserve de matières premières à la disposition exclusive du capitalisme européen et nord-américain, a décidé de s’émanciper en s’ouvrant à d’autres partenaires, notamment la Chine et les autres pays émergents. Un véritable crime de lèse colonisateur !



La crise de 2008, une crise du système capitaliste

Fin 2008 début 2009, l’économie états-unienne entre dans une profonde crise causée par les prêts immobiliers à risque. Les bénéficiaires de ces prêts n’ayant pas pu respecter les échéances, le système financier s’est bloqué. Les banques, les sociétés immobilières, les industries… tombaient progressivement en faillite et la crise des subprimes est devenue la crise tout court. Les fleurons de la puissance états-unienne comme American International Group, Ford, General Motors, Chrysler n’ont pu être sauvés que par l’argent du contribuable mobilisé pour aider les capitalistes spéculateurs victimes de leur boulimie du profit. Le coût/coup social de ce krach est énorme : montée vertigineuse du chômage, réduction des revenus, augmentation du taux de suicide… Comme une trainée de poudre, la crise traverse les Etats Unis d’Amérique et atteint l’Europe. Si aux USA ce sont les entreprises qui sont tombées en faillite, en Europe ce sont les Etats qui sombrent dans cette situation infâmante. Le Portugal et la Grèce sont officiellement déclarés en récession. Pour la première fois dans l’histoire, plus vieux colonisateur européen (le Portugal) est allé demander de l’aide à l’une de ses anciennes colonies : l’Angola. Mais le cercle des Etats occidentaux en difficulté va bien au-delà des deux cités. En témoigne l’évocation et la mise en place de cures d’ « austérité » dans des pays comme la France, l’Angleterre, etc. De fait, les grandes puissances occidentales n’ont plus les moyens de maintenir le niveau de vie de leurs citoyens. Ils n’ont plus les moyens de faire fonctionner de manière optimale les institutions étatiques. Pis, les coupes opérées sur les secteurs sociaux (éducation, santé, sécurité sociale, retraite) -toujours les premières victimes de la récession- ne sont ni suffisantes ni efficaces à long terme puisqu’elles rendent les régimes impopulaires.

Une crise aux conséquences désastreuses

La première conséquence de cette crise est qu’elle a détruit le mythe de l’inébranlabilité du système capitaliste que l’états-unien d’origine japonaise Francis Fukuyama avait tôt fait de présenter comme « la fin de l’histoire », enthousiasmé qu’il était par la chute de l’Union des Républiques socialistes et soviétiques (URSS). Avec la crise de 2008, qui n’était pas une simple crise due à une mauvaise gestion du capital par les hommes mais une crise du système capitaliste dans lequel l’absence de règles est érigée en règle, l’humanité a compris que l’histoire du capitalisme ne faisait que commencer. Deuxième conséquence qui découle d’ailleurs de la première : les BRICS (pays émergents conduits par la Chine) ont profité de la faillite de l’Occident pour conquérir des parts de marché au point de constituer un véritable contrepoids à l’hégémonie des puissances occidentales. Très vite, une guerre d’un genre particulier a donc été ouverte avec, comme belligérants, les pays occidentaux d’une part et les puissantes émergentes d’autre part. Pour l’Occident, cette guerre pour la (re)conquête de l’hégémonie mondiale a trois objectifs. Elle doit permettre de mettre la main sur les matières premières afin de relancer la machine capitaliste grippée. Ensuite empêcher aux pays émergents de prendre le contrôle de ces ressources pour accélérer leur industrialisation. Enfin, l’Occident fait la guerre pour fragiliser l’Afrique afin d’y empêcher tout véritable développement endogène. Il n’échappe à personne que les chefs d’Etat qui s’engagent à développer leur pays sont : assassiné (Kadhafi), renversé (Gbagbo) ou diabolisés (Bouteflika, Mugabe, Obiang Nguema, Kabila, Dos Santos).

Afrique, premier théâtre de guerre de l’Occident

La thèse selon laquelle « tout ce qui arrive à l’Afrique (guerres, pillage, corruption) n’est que le résultat des turpitudes des Africain(es). L’étranger n’y est pour rien » ne manque pas de défenseurs. Mais cette « théorie de l’ultra-naïveté (1) », fille de la propagande de guerre n’enlève rien au fait que les guerres en Côte-d’Ivoire, en Libye, au Mali, en RCA étaient avant tout des guerres de l’Occident impérial pour relancer son économie en crise profonde. En Côte-d’Ivoire, premier pays producteur de cacao au monde, première économie d’Afrique de l’ouest, la France, ancienne puissance coloniale, a tenté depuis 2002 de renverser le régime du président démocratiquement élu Laurent Gbagbo. Le malheur de l’ancien opposant devenu chef d’Etat est d’avoir voulu faire passer le développement de son pays et le bien-être des Ivoiriens avant les intérêts des multinationales occidentales qui régnaient en maîtres incontestés dans le pays. Soit dit en passant, c’est Félix Houphouët-Boigny, premier président ivoirien qui a inventé le terme Françafrique pour désigner le cadre des relations privilégiées qu’il souhaitait entre la France et l’Afrique. Pour ne pas perdre « sa » Côte-d’Ivoire, Nicolas Sarkozy a déployé les troupes et l’artillerie française pour pilonner le palais présidentiel ivoirien et en extraire le chef de l’Etat et l’envoyer à la Cour pénale internationale où il est incarcéré jusqu’aujourd’hui. En lieu et place, Alassane Ouattara, ami personnel de Sarkozy est installé. Depuis lors, les entreprises occidentales sont remontées en selle. Et guise de récompense, Ouattara dont l’épouse est française bénéficie de la plus grande attention des dirigeants et des médias occidentaux.

En Libye, l’un des rares pays au monde où l’argent du pétrole était investi dans le développement du pays, Mouammar Kadhafi a commis l’ « erreur » de mobiliser des fonds pour lancer le premier satellite africain, créer la Banque centrale africaine (BCA), le Fonds monétaire africain (FMA), la Banque africaine d’investissements (BAI)… Tous ces projets étant lancés, l’Occident se voyait perdre une part importante des ressources nécessaires à sa survie. Avec le satellite africain, l’Occident perdait 500 milliards de FCFA (1 milliard de dollars), montant que les sociétés de téléphonie et les chaînes de télévision africaines payent chaque année pour être hébergées par les satellites occidentaux. Avec l’entrée en fonctionnement du FMA, de la BCA et du FAI, l’Occident, qui tire d’énorme profit du service de la dette devenu le fonds de commerce des institutions de Bretton Woods, perdait de faramineuses sommes d’argent. Pour avoir voulu priver l’empire de cette rente, Kadhafi était devenu un ennemi à abattre. Et il a été abattu avec la bénédiction de l’Organisation des Nations Unies.

Pendant les bombardements de l’OTAN, l’Occident prétendait vouloir instaurer la démocratie en Libye. Aujourd’hui, le pays est devenu le quartier général du djihad dans la bande sahélo-sahélienne. Mais aucune goutte de pétrole ne rate sa destination ! L’expédition a donc été un succès pour les impérialistes qui profitent du chaos pour avoir le pétrole libyen à des prix plus abordables qu’à l’ère Kadhafi.

Au Mali, début 2014, une horde de djihadistes (certains avaient été utilisés par l’Occident pour déstabiliser la Libye et assassiner Kadhafi) s’est jointe aux irrédentistes locaux pour lancer une large offensive sécessionniste dans le nord du pays. Dans une interview publiée en mars dernier dans le Journal de l’Afrique N°9, http://www.michelcollon.info/La-Fra... Hama Ag Mahmoud, affirmait sans ambages que la France avait activement contribué à la partition du Mali en soutenant le Mouvement intégriste MNLA contre le pouvoir de Bamako. Voulant diviser le Mali pour mieux le piller, « La France nous avait donné son feu vert pour créer l’Etat de l’Azawad », a révélé Hama Ag Mahmoud, ancien responsable des Affaires extérieures dans le Conseil Transitoire de l’Etat de l’Azawad. Il faut dire que la stratégie n’est pas nouvelle. Pour piller les ressources du Soudan, les Occidentaux qui n’ont pas réussi à renverser le régime d’Omar El Béchir ont décidé de partitionner le pays en deux. La partie sud est devenue en 2011 la République du Soudan du Sud. Aussitôt crée, le 54ème Etat africain a sombré dans une guerre pour le pillage des ressources. Depuis juillet 2013, deux frères ennemis Riek Machar et Salvakiir s’y battent pour le contrôle de la présidence. Les morts et les déplacés se comptent en millions. Mais le pétrole et le caoutchouc produits dans le pays prennent la destination de l’Occident. Sans surprise pour qui connait leur mode de fonctionnement, les grands médias présentent soigneusement la guerre au Soudan du Sud comme « un conflit tribal opposant les tribus Neur et les Dinka ».

En République centrafricaine, François Bozizé a été renversé par une coalition de rebelles soutenue par la France à travers son relais sous régional : le président tchadien Idriss Déby. La principale « faute » de Bozizé était d’avoir ouvert son pays à la Chine au point de céder la réserve pétrolière de Boromata à l’Empire du Milieu, malgré les nombreuses mises en garde de Paris http://www.michelcollon.info/Centra... . Comme dans la fable « Le loup et l’agneau » de Jean De La Fontaine, Bozizé sera puni pour sa témérité et remplacé par un chef rebelle appelé Michel Djotodia. Le président déchu aura appris à ses dépens que « la raison du plus fort est toujours la meilleure » !

France-USA : le nouveau couple anthropophage

Dans le but de faire main basse sur les ressources africaines, d’empêcher les concurrents asiatiques d’en profiter et d’endiguer tout véritable développement endogène, l’Occident quadrille progressivement le continent. Deux pays sont en tête de ce nouveau déploiement : la France et les USA qui constituent le nouveau couple anthropophage de fait.

Votre téléviseur ne vous en a rien dit. Vos quotidiens et magazines préférés non plus. Et pourtant, en 2013 les USA, à travers le Commandement militaire pour l’Afrique (AFRICOM), ont mené… 546 interventions sur le sol africain. Soit précisément « 55 opérations, 10 exercices et 481 activités de coopération dans le domaine sécuritaire (2) », détaillait le général Rodriguez, commandant d’AFRICOM au Congrès étasunien en mars 2014. A la décharge de nos grands médias, précisons que la nouvelle stratégie militaire US mise en application sous Obama (3) a été conçue pour permettre au pays d’intervenir en restant en retrait (leading from behind » et sans laisser de traces « light footprint ».

Sous la direction de Maya Kandel, l’Institut de Recherche Stratégique de l’École militaire (IRSEM) a publié en décembre 2014 une étude de 104 pages sur « La stratégie américaine en Afrique ». Le light footprint y est apparait comme « l’usage des drones, des forces spéciales et autres modalités discrètes d’intervention, l’importance de la surveillance, enfin l’appui sur les partenariats (4) ». La carte ci-dessous donne de plus amples informations sur la présence militaire US en Afrique.

Source : Tom Dispatch

En 2008, la France s’est dotée d’une nouvelle bible de guerre appelée Livre blanc de la Défense. Ce document présente l’Afrique, notamment sa partie sahélienne, comme une zone de crise (il faut préciser qu’en 2008 il n’y a pas encore les printemps arabes en Tunisie, en Egypte et en Libye, ni l’avancée des djihadistes au Mali). En novembre 2009, un contingent de l’armée tricolore a été envoyé en Mauritanie pour officiellement former les militaires contre le terrorisme. C’est l’opération Sabre. En janvier 2010, Paris a envoyé d’autres troupes spéciales à Mopti pour officiellement former l’armée malienne contre le même ennemi jusqu’alors invisible. Suite à la prise d’otages sur le site du géant nucléaire français Areva, un important dispositif français est déployé au Burkina Faso. On le voit, la France positionne progressivement ses troupes dans la région. Subitement, en janvier 2013, le Mali sombre dans la guerre. La France prend la tête de l’intervention étrangère et lance l’opération Serval. En 2014, le président Hollande déclare la fin de l’opération Serval. Sans attendre le retour des soldats français, il annonce l’opération Barkhane. Celle-ci va plus loin que la précédente. Elle couvre cinq pays : Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad. Mais la présence militaire hexagonale s’étend à d’autres régions du continent, notamment l’Afrique centrale et de l’ouest.

Le couple franco-étasunien en action

En Libye, les USA ont très vite intégré l’ « opération Harmattan » lancée par la France et la Grande Bretagne contre Kadhafi. Mais c’est au Mali que l’idylle franco-états-unienne prend toute sa forme. L’appui de l’allié US « a été décisif en termes de renseignement et d’observation comme de ravitaillement en vol », se réjouissent les rédacteurs du Rapport d’information N°1288 déposé le 18 juillet 2013 à l’Assemblée Nationale française par la commission de la Défense Nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’opération Serval au Mali. Le même satisfecit au Sénat où le Rapport d’information N°513, fait au nom de la Commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces Armées par le groupe de travail Sahel et déposé le 16 avril 2013, s’extasie en ces termes : « Les États-Unis sont aujourd’hui le principal partenaire des Français en termes financiers et un maillon important en termes opérationnels (au Mali). Les États-Unis ont apporté immédiatement leur appui politique à l’opération française ». Concrètement, l’aide des USA a été multiforme : drones et avions de reconnaissance, transport aérien stratégique à travers trois C-17, ravitaillement en vol avec trois KC 135. La Maison Blanche a mobilisé une enveloppe budgétaire spéciale (presidential drawdown) de 50 millions de dollars pour soutenir l’action de Paris au Mali . La France a acquis les drones Reapers et, à Niamey, la base des drones français jouxte celle des drones états-uniens. Lors d’une visite aux USA en février 2014, François Hollande et Barack Obama ont assumé leur nouvelle alliance impérialiste en ces termes : « plus qu’ailleurs c’est peut-être en Afrique que notre nouveau partenariat trouve son expression la plus visible (6) » . Tout est dit.

Le retour de l’impérialisme allemand

Avant la crise de 2008, l’économie africaine ne faisait pas partie des priorités de Berlin. Le continent était perçu outre-Rhin comme une vaste aire de misère qu’il fallait aider pour libérer sa conscience ! Cela est d’autant plus vrai que c’est le ministère de la Coopération Economique et du Développement (Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung, BMZ) qui s’occupait de près de l’Afrique, suivi par le ministère des Affaires Etrangères. En juin 2000, le BMZ a publié un document de travail intitulé « Points forts de la coopération au développement ». 14 pays africains y sont désignés comme des « États prioritaires » et neuf autres comme des « États partenaires ». Mais la nature de ce partenariat est bien précisé : « coopération au développement ». L’accent est mis sur le respect des droits de l’homme, la démocratie et l’état de droit. En 2001, le ministère des Affaires Etrangères publie à son tour un document avec pour titre : une « stratégie pour l’Afrique ». Il se rapproche du premier par les thèmes abordés : droits de l’homme, démocratie, état de droit.

Avec la crise, l’Allemagne change sa vision de l’Afrique. Comme le confirme Tobias Koepf, auteur de L’Allemagne à la recherche d’une stratégie de politique africaine, « à compter de 2008, un discours relativement nouveau vint se juxtaposer au discours sécuritaire [en Allemagne] : l’Afrique n’y était plus présentée comme le continent de la pauvreté, mais plutôt comme le continent des opportunités (7) ». A quoi était dû ce changement de perspective ? Tobias Koepf répond : « au boom économique enregistré dans certains pays africains […]. L’économie allemande étant par tradition fortement tournée vers l’exportation, les milieux économiques allemands, qui avaient jusque-là prêté peu d’attention à l’Afrique subsaharienne commencèrent à s’y intéresser de plus près. Le gouvernement fédéral leur emboîta le pas, surtout après l’entrée en fonction du gouvernement de coalition CDU-FDP en 2009 (8) ». Sur le terrain, les ministres Guido Westerwelle des Affaires Etrangères et Dirk Niebel du Développement intensifient les visites en Afrique, notamment au Ghana, au Mozambique, au Nigéria, en Tanzanie et en Afrique du Sud.

Suivant une gradation ascendante, l’Allemagne avance chaque jour dans la conquête de l’Afrique. En 2014, Berlin a adopté les « orientations de la politique africaine du gouvernement ». La deuxième partie de ce document programmatique s’intitule : « Notre engagement en Afrique ». On peut y lire : « Les marchés africains sont dynamiques et, au-delà des industries extractives, de plus en plus intéressants pour les entreprises allemandes ». Outre la conquête des parts de marché, l’Allemagne s’illustre par un activisme militaire croissant en Afrique. En 2011, le gouvernement allemand s’était officiellement déclaré contre le bombardement par l’OTAN de la Libye. Mais, réalisant que les pays qui ont bombardé ce pays en ont tiré un important bénéfice en termes de contrats passés avec les nouvelles autorités, Berlin a ajusté ses positions. Début 2013, le parlement allemand a fait volte-face pour soutenir l’« intervention militaire française au Mali en envoyant des soldats dans ce pays. Depuis, on a déployé des contingents plus forts au Sénégal, en Afrique centrale, dans la Corne de l’Afrique, au Sahara occidental, au Soudan, au Sud-Soudan et en Somalie (9) ». C’est à Berlin que l’Afrique avait été partagée comme un gâteau par les impérialistes en 1885. Mais le pays d’Otto Von Bismarck va perdre toutes ses colonies après sa défaite dans la première Guerre Mondiale (1914-1918). Un siècle après, l’impérialisme allemand revient en force. Les Allemands ne sont pas seuls à renfiler leur manteau colonial. Plusieurs pays évoqués plus haut sont à leurs côtés. Mais la liste est beaucoup plus longue. Les Africains doivent donc être très vigilants pour éviter cette recolonisation. Les fils et filles du continent ont une chance aujourd’hui : la multi-polarisation du monde. L’Occident ne peut plus se comporter comme à l’époque où il contrôlait le monde. Il est challengé par les BRICS. Ces derniers ne peuvent pas non plus reproduire les méthodes de l’Occident, au moins pour deux raisons : 1- Ils ne contrôlent pas encore l’économie mondiale. 2-En utilisant les mêmes méthodes, les BRICS vont éroder le capital sympathique dont ils jouissent en Afrique. Et après La haine de l’Occident, Jean Ziegler aura de la matière pour écrire La haine des BRICS.

Soyons donc très vigilants pour éviter cette recolonisation. Les fils et filles du continent ont une chance aujourd’hui : la multi-polarisation du monde. L’Occident ne peut plus se comporter comme à l’époque où il contrôlait le monde. Il est challengé par les BRICS. Ces derniers ne peuvent pas non plus reproduire les méthodes de l’Occident, au moins pour deux raisons : 1- Ils ne contrôlent pas encore l’économie mondiale. 2-En utilisant les mêmes méthodes, les BRICS vont éroder le capital sympathique dont ils jouissent en Afrique. Et après La haine de l’Occident, Jean Ziegler aura de la matière pour écrire La haine des BRICS.

Source : Le Journal de l’Afrique n°11, Investig’Action, juin 2015. Lien pour lire le Journal en entier : http://michelcollon.info/Le-Journal...

Le monde multipolaire en marche : Nigéria, Niger, Cameroun et Tchad, une alliance panafricaine contre Boko Haram !

Malgré ses menaces médiatisées Boko Haram n'a pas pu empêcher la tenue des élections qui ont débouché sur une alternance démocratique au Nigéria. L'enlèvement de centaines de filles "converties et mariées de force" avait été l'occasion d'un "Twitt et photo" de Michèle Obama et une campagne médiatique mondiale appelant à une mobilisation internationale contre Boko Haram.





Beaucoup s’attendaient donc, comme on l’a vu au Mali, à un appel au secours qui allait voir déferler Africom (USA) suivi de Barkhane (France) sur les sols Nigérian et Camerounais. Mais à la surprise générale à la place de "l’aide US et de l’UE contre le terrorisme", c’est plutôt à une alliance militaire panafricaine de fait entre le Nigéria, le Cameroun, le Niger et le Tchad que l’on assiste contre Boko Haram. Pourquoi la servilité françafricaine habituelle semble n’avoir pas fonctionné ? Comment comprendre que USA et France aient été ici, pour le moment, diplomatiquement éconduits ? Est-ce l’influence grandissante de Mugabé, actuel président de l’Union Africaine (UA), sur les chefs d’états françafricains, eurafricains et usafricains ?

 

Ou est-ce la peur de l’exemple du chaos libyen ?



Après avoir renvoyé l’Afghanistan, puis l’Irak "à l’âge de pierre" selon l’expression de G. Bush, l’occupation militaire de ces pays avait précédé l’installation de pouvoirs fantoches. Puis l’agression coloniale de l’OTAN/Françafric et l’assassinat de Kadhafi ont livré la Libye aux hordes surarmées de Al-Qaïda et/ou Daesh qui se sont ensuite répandues sur les pays africains. Boko Haram, Mujao, Ansardine, des mouvements armés "jihadistes", et bien avant, Shebab, LRA de Kony, sévissent ainsi du Sahel-Sahara à l’Afrique de l’est.

Cette déstabilisation militarisée des pays africains s’est développée à partir de la destruction consciente de la Libye comme le révèle Hama Ag Mahmoud, un des ténors du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) qui l’a quitté avec fracas en décembre 2012, peu avant le déclenchement de l’opération Serval au Mali : " - La France aurait donc poussé le MNLA à occuper les villes du Nord du Mali ? - Oui tout à fait. La France a demandé au MNLA de l’aider à faire déserter tous les combattants de l’Azawad qui étaient dans l’armée libyenne, pendant la guerre de Libye. Ensuite de bloquer le recrutement des libyens dans l’Azawad et dans l’Aïr au Niger. Et en contrepartie, elle nous avait donné son feu vert pour l’indépendance de l’Azawad. C’est l’accord qui a été conclu avant la guerre entre le MNLA et la France. Et immédiatement la guerre gagnée par le MNLA, la France a changé complètement de politique. Elle a mis tout son dispositif diplomatique contre le MNLA. Alors conclusion, l’objectif de la France était tout simplement d’affaiblir le gouvernement malien et je peux vous assurer que ce n’était pas pour donner raison au MNLA" (Interview, Le Courrier du Sahara, en date du 17 janvier 15 cité par Gri Gri international du 28/02/15).

La Libye a été donc ainsi livrée aux chefs de guerre financés par les théocraties des pétrodollars et armés par les marchands d’armes US et de l’UE dans le but de créer un foyer à partir duquel propager partout en Afrique le cancer "jihadistes". La Libye est devenue pour l’Afrique ce qu’a été et continue d’être l’Afghanistan pour toute l’Asie. Ce foyer de subversion a produit et métastasé pour devenir Daesh, Front Al Nosra, Al Qaïda en Syrie puis en Irak, Boko Haram au Nigéria et Ansardine-Mujao-MNLA au Mali. Ces mercenaires "jihadistes" séparatistes se taillent des territoires dénommés "califat" comme on l’a vu dans le nord du Mali, puis comme on le voit en Syrie et en Irak et se livrent à toute sorte de trafics de pétrole, drogue, etc. Dès qu’ils se sentent suffisamment forts, ils développent parfois leur propre agenda différent de celui de leurs maîtres financeurs et entrent ainsi en opposition à ceux-ci. A chaque déstabilisation d’un pays africain, les impérialistes US, de l’UE et Français se pointent pour "porter secours dans leur grande et désintéressée" magnanimité aux "incapables africains" comme on l’a vu au Mali avec l’opération Serval puis en Centrafrique avec Sangaris avant que ce stratagème ne mute en "Barkhane" (dunes qui se déplacent dans le désert au gré des vents), nom que s’est donné la mouvante occupation militaire française du Sahel-Sahara du Mali en Centrafrique.

Force est donc de constater que les bourgeoisies au pouvoir au Nigéria, au Cameroun, au Niger et au Tchad ont évité, pour l’instant, de faire appel aux "sauveurs" US/UE en forgeant peu à peu une alliance militaire panafricaine contre la menace de chaos et de "califat" que constitue Boko Haram.

Peut-être ont-elles lu les révélations suivantes : "De même, j’affirme sans détour que Daesh et Al-Qaïda ont été créé par la CIA et sont les résultats directs de la politique américaine. Les ’Afghans-Arabes’ étaient le noyau d’Al Qaïda, ils ont été levés, formés, soutenus et appuyés par les services secrets américains. Nous sommes les témoins de cela. Aujourd’hui, la CIA n’est plus capable de contrôler ce qu’elle a créé. Le soutien américain aux moudjahidines arabes en Afghanistan est bien connu. Les services secrets américains ont soutenu les ’afghans arabes’ pour contrer les Soviétiques dans ce pays. A cette époque, la relation entre le soudan et les Etats-Unis était bonne, nous étions donc au courant de cela"(Omar El-Béchir, 54 Etats, hors série).

C’est ce que confirme Hillary Clinton quand elle proclame "nous, Etats-Unis, avons créé Al Qaïda" avec l’intention de refaire exactement "l’opération Ben Laden " des années 78 à 80 dont Zbigniew Brzezinski conseiller des présidents US a pu dire : "cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ?" (cité par Michel Collon dans ’Je suis ou je ne suis pas Charlie ?).

Ou encore ces propos de James Baker : " Il n’y a pas de pays musulman plus intégriste que l’Arabie Saoudite (...) et pourtant c’est à la fois un ami et un pays important pour les Etats-Unis. (...) Nous ne devons nous opposer à l’intégrisme que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent"(cité par Michel Collon, idem).

En effet l’on peut tous constater que jusque dans les années 80 et 90 la majorité des Etats nés des indépendances dans le monde Arabe et Africain se proclamait, même quand il n’était pas d’orientation anti-impérialiste, laïc, nationaliste, panarabe, panègre ou panafricain. Ces Etats postcoloniaux avaient en général obtenu l’indépendance formelle à partir de mobilisations de masses ou parfois de luttes armées dans lesquelles les courants féodaux religieux et/ou ethnicistes étaient quasi absents parce que trop souvent alliés des colonisateurs.

Il apparaît de plus en plus clairement que "l’intérêt national" des USA flanqués de l’UE est aujourd’hui de réactiver les courants religieux dans les pays Arabes et en Afrique en utilisant ses vassaux des théocraties des pétrodollars et les "califats jihadistes" pour détruire les Etats postcoloniaux, le panarabisme et le panafricanisme. Même si cela n’est pas encore très visible, c’est la même fonction et le même objectif qui seront assignés aux courants évangélistes qui pullulent dans les pays à majorité chrétienne.

L’exemple de la Centrafrique est ici significatif. Là cohabitent musulmans et chrétiens et la déstabilisation a débouché sur un affrontement entre "séléka musulmans" et "anti-balakat chrétiens". Une ligne de partage se dessine du Nigéria, Cameroun, Tchad, Centrafrique jusqu’à l’est du continent où de tels affrontements peuvent être suscités pour désintégrer les Etats postcoloniaux nés de la première phase des luttes anticoloniales pour les indépendances entre 1945 et 1960.

Il faut absolument défendre l’unité nationale laïque et démocratique contre les projets d’émiettements des Etats multinationaux parce que les "ethnies" sont en réalité des nationalités à l’époque des Nations en devenir en Afrique. Cette défense des Etats multinationaux nés de la balkanisation coloniale doit s’inscrire dans une perspective panafricaine fondée sur le principe de "l’union libre des peuples libres d’Afrique" lancé par le communiste Malien Tiémokho Garang Kouyaté au milieu des années 30.

 

Ou est ce la diversification des partenaires économiques ?



A partir des années 80, les bourgeosies africaines compradores, c’est-à-dire serviles aux impérialistes, ont fortement libéralisé et privatisé les économies sous la houlette des plans d’ajustement structurel du Fond Monétaire International (FMI), de la Banque Mondiale et de l’OMC. Libéralisation et privatisation ont bénéficié aux Multinationales impérialistes, mais aussi à une couche "d’opérateurs économiques" locaux surtout dans l’import-export ainsi intégrés dans la "mondialisation" des affaires. Les délocalisations des entreprises à faible composition organique du capital, c’est-à-dire utilisant une main d’oeuvre nombreuse, vers les pays d’Asie et du Moyen-Orient ont favorisé la diversification des sources d’approvisionnements en marchandises des "hommes et femmes d’affaires" des pays africains confinés dans le rôle de "nègres sous traitants".

L’arrivée des nouveaux investisseurs en quête de matières premières que sont les "pays émergents", notamment les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), prolonge et renforce cette diversification des relations économiques au plan étatique et parfois même stratégique. Ainsi on remarquera que le Nigéria premier producteur africain de pétrole, mais aussi le Tchad et le Cameroun tous les deux producteurs de pétrole s’ouvrent de plus en plus aux investisseurs notamment chinois et russes. Il en est de même au Niger avec la fin progressive du monopole exclusif de l’exploitation de l’uranium détenu par la firme française AREVA au profit de la Chine. Ce développement des échanges économiques avec les "pays émergents", en particulier avec la Chine agace les impérialistes US et de l’UE habitués à agir en pays conquis en Afrique. Même si on peut observer que certaines entreprises monopolistes françaises, par exemple, envisagent par réalisme des associations ou de devenir des sous traitants pour ou avec les entreprises chinoises qui sont majoritairement d’Etat. Ainsi la Chine et dans son sillage les pays des BRICS brisent de fait le quasi monopole colonial des entreprises multinationales des impérialistes US, de l’UE et de la France en Afrique. Voilà pourquoi Peter Pham, qui conseille les départements d’état et de la défense étatsuniens, explique que l’AFRICOM, commandement militaire US basé à Stuttgart en Allemagne, a pour "but de protéger les accès en hydrocarbures et autres ressources stratégiques dont l’Afrique est riche, une tâche qui incluait de s’assurer contre la vulnérabilité de ces richesses naturelles et de s’assurer qu’aucune tierce partie comme la Chine, L’inde, le Japon ou la Russie, ne puissent obtenir un monopole ou des traitements de faveur”( cité dans mondialisation.ca).

Cette farouche recherche d’une terre africaine pour accueillir AFRICOM est nécessité, voyez vous, par le fait que "ces ressources et richesses naturelles font de l’Afrique une cible facile pour les attentions de la République Populaire de Chine, dont la dynamique économique… a une soif quasi insatiable de pétrole et de besoins pour d’autres ressources naturelles. La Chine importe à l’heure actuelle approximativement 2,6 millions de barils de pétrole brut par jour, environ la moitié de cette consommation, de l’ordre de 765 000 barils par jour, environ un tiers de ses importations, proviennent de ses sources africaines, spécialement du Soudan, de l’Angola et du Congo (Brazzaville). Est-ce étonnant donc par conséquent qu’aucune région du monde autre que l’Afrique ne rivalise avec l’intérêt stratégique de la Chine ces dernières années… De manière intentionnelle ou non, beaucoup d’analystes attendent que l’Afrique, spécifiquement les états du long de sa très riche côte occidentale, va devenir le théâtre d’une concurrence stratégique entre les Etats-Unis et sa seule réelle concurrence à l’échelle globale, la Chine, alors que les deux pays cherchent à étendre leur influence et sécuriser l’accès aux ressources”(idem). Il faut donc semer le chaos en Afrique pour bloquer le développement des pays "émergents" en les empêchant d’accéder aux matières premières dont ils ont besoin pour se développer.

Le remplacement du système colonial par le système néocolonial grâce aux massacres coloniaux de masses et aux assassinats systématiques des leaders indépendatistes radicaux de la première phase de libération nationale entre 1945 et 1960 ont engendré ce que l’on appelle la françafric, l’eurafric et l’usafric. Il s’agit de mécanismes mafieux corrupteurs qui lient les Multinationales et les politiques des Etats impérialistes (France, UE, USA) aux élites régnantes dans les Etats africains pour maintenir l’Afrique et ses peuples dans les griffes spoliatrices de la dépendance au profit des Multinationales françaises, européennes et étatsuniennes.

Durant "la guerre froide", c’est à dire la lutte entre le camp capitaliste et le camp socialiste, ce système de dépendance néocoloniale faisait des élites régnantes en Afrique des vassaux du camp capitaliste contre l’URSS, contre le camp socialiste. Parfois certains de ces serviteurs apatrides utilisaient la contradiction entre les deux camps pour faire chanter leurs maîtres impérialistes. Mais globalement les Houphouêt, Senghor, Ahidjo, Bongo, Eyadema, Mobutu, Bokassa, pour ne citer que les plus illustres d’entre-eux, obéissaient servilement au point même de prôner le "dialogue" avec l’apartheid sud-africain, de lier des relations diplomatiques avec l’Etat sioniste colonialiste d’Israël et de soutenir les mouvements pro-coloniaux contre les indépendantistes radicaux comme le MPLA, le FRELIMO, le PAIGC, la SWAPO, l’ANC dans les guerres de libération nationale contre le colonialisme fasciste portugais ou l’apartheid Sud Africain.

Ce système semi-colonial sous sa forme initiale ne suffit plus à assurer la pérennité de la vassalisation prédatrice de l’Afrique. Il faut doubler cela d’une stratégie du chaos prétexte à une présence militaire accrue US et de l’UE considérée comme seul gage de la mainmise sur les matières premières africaines pour en empêcher l’accès direct aux BRICS. A cet effet l’usafric poursuit sa quête d’installer l’AFRICOM sur le continent, il en est de même du renforcement de la présence des armées de l’eurafric et de la françafric au nom de la "lutte contre le terrorisme". C’est la tactique bien connue du pyromane pompier qui s’affuble ici des troupes qui rappellent les "tirailleurs" qui ont été les mercenaires de la conquête de l’empire colonial d’Afrque sous la direction d’officiers Français.

 

Une fissure dans la soumission qui doit s’approfondir



Bien entendu la françafric continue de se manifester sous la forme de la honteuse et dangereuse décision d’envoyer 2100 soldats sénégalais soutenir l’agression militaire saoudienne au Yémen, ce qui est à mettre en relation avec les achats par les Emirs d’avions rafales du complexe militaro industriel de l’impérialisme français. L’eurafric se manifeste sous la forme de l’imposition de la signature de l’Accord de Partenariat économique (APE) spoliateur qui va accroître la dépendance des Etats africains. Mais comment ne pas apprécier que l’axe du refus des bourgeoisies africaines semble remonter progressivement du Zimbabwe, de l’Erythrée, Mozambique, Namibie, Angola, RDC et Afrique du Sud vers le Nigéria, le Cameroun, le Niger et le Tchad. Cette résistance des bourgeoisies africaines reste hésitante, faible, mais elle commence à s’exprimer publiquement et avec une certaine force par la voie de Mugabe. Confrontées à la stratégie US et de l’UE alliés aux fantoches des Monarchies théocratiques qui menacent de plus en plus les Etats qu’elles dirigent, les bourgeoisies africaines pour des raisons de survie semblent chercher des voies pour échapper aux pièges de la duplicité de l’impérialisme occidental dont l’objectif est résumé ainsi : "Actuellement, les Etats-Unis ne rencontrent aucun rival mondial. La grande stratégie de l’Amérique doit viser à préserver et étendre cette position avantageuse aussi longtemps que possible (...) Préserver cette situation stratégique désirable dans laquelle les Etats-Unis se trouvent maintenant exige des capacités militaires prédominantes au niveau mondial"( Zbigniew Brzezinski cité par Michel Collon).

La supériorité militaire plus la vassalisation des théocraties féodales monarchistes pétrolières qui financent des groupes de fanatiques religieux ou ethniques contre le communisme hier et contre les Etats post coloniaux aujourd’hui pour pérenniser le plus longtemps possible la domination unilatérale des USA et de l’UE sur le monde. Telle est la ligne directrice de la stratégie US flanquée de l’UE, d’Israël et des Monarchies des pétrodollars.

En plus de la Chine, la Russie est particulièrement visée comme le déclare Graham E. Fuller, ex-directeur adjoint de la CIA lorsqu’il dit à propos de la Tchétchénie notamment que "la politique pour guider l’évolution de l’islam et les aider contre nos adversaires a fonctionné merveilleusement bien en Afghanistan contre l’armée rouge. Les mêmes doctrines peuvent encore être utilisées pour déstabiliser ce qui reste de la puissance russe" (tiré de ’Et si Poutine dit la vérité, on fait quoi ?’ Le Grand Soir). Cette stratégie qui se déroule devant nous en Afrique, au Moyen-Orient et en Ukraine fait objectivement apparaître deux camps opposés dans ce monde : le camp de la guerre avec les USA, l’UE, les Emirats féodaux et les groupes "jihadistes" et le camp de la paix avec les pays antilibéraux et anti-impérialistes d’Amérique du Sud dont le noyau est l’Alliance Bolivarienne (ALBA), l’Iran, le Hezbollah, la résistance palestinienne et les BRICS, etc.

Cette dichotomie et contradiction à l’échelle mondiale qui se fraye difficilement un chemin en Afrique prend consciemment ou inconsciemment la forme d’une alliance militaire africaine pour vaincre les "progénitures jihadistes" des pétrodollars et de l’impérialisme US et de l’UE.

En Amérique du Sud les bourgeoisies compradores se sont aussi longtemps couchées devant la suprématie US en faisant de leurs pays "l’arrière cour". C’est le cas des bourgeoisies africaines, surtout celles de l’ex-empire colonial français. Que trois des quatre pays que sont le Nigéria, le Cameroun, le Niger et le Tchad soient des ex-colonies de l’impérialisme français est aussi un signe important des processus de distanciation en cours vis à vis des impérialistes de la part de fractions des bourgeoisies nationales qui se sentent menacées. Les critiques qui montent du sud jusqu’au nord, de l’est jusqu’à l’ouest de l’Afrique, surtout depuis l’assassinat de l’Etat libyen et le foyer "jihadiste" ainsi créé en terre africaine de Libye, illustrent une méfiance de plus en plus grande de certaines élites bourgeoises africaines prêtes à ouvrir leur marché et la coopération économique, politique et culturelle avec les "concurrents" de leurs maîtres impérialistes US et de l’UE.

Les forces ouvrières et populaires opposées aux bourgeoisies semi-coloniales ont tout intérêt à analyser et comprendre les facteurs essentiels et objectifs qui déterminent des évolutions progressives ou régressives dans les comportements des classes sociales au pouvoir dans nos pays. Faire ce travail, c’est œuvrer à frayer la voie, comme en Amérique du Sud, aux alternatives antilibérales et anti-impérialistes qui marqueront la seconde phase actuelle de décolonisation.

L’objectif immédiat est et reste la mobilisation populaire pour le démantèlement des bases militaires étrangères et le retrait des armées US, de l’UE et Françaises d’Afrique.
Source : Investig’Action

Les nouvelles générations militantes africaines. Espoirs et vigilances

La jeunesse africaine est de nouveau confrontée à la découverte de sa « mission », pour reprendre l’expression de Frantz Fanon. De manière significative en Egypte, en Tunisie ou au Burkina Faso, les vastes mobilisations de la jeunesse ont été accompagnées d’une redécouverte des grandes figures des indépendances (Nasser, Sankara, N’Krumah, etc.).

  « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir » , Frantz Fanon

Des manifestations contre l’exploitation du gaz de schiste en Algérie aux grandes grèves des mineurs en Afrique du Sud, en passant par le formidable mouvement de révolte qui mit fin au règne de l’assassin de Sankara au Burkina et par les révolutions égyptienne et tunisienne, etc., il existe un point commun que les médias dominants se gardent bien de souligner : la présence massive de jeunes. De nouvelles générations militantes émergent, réagissant, d’une part, aux conditions d’existence scandaleuses imposées par la mondialisation capitaliste et, d’autre part, à l’action des gérants locaux de cette mondialisation que sont la plupart des gouvernements en place. Cette nouvelle attitude militante de la jeunesse a une base concrète : les mutations sociologique et démographique du continent et la paupérisation massive des jeunes. C’est pourquoi les puissances impérialistes, par le biais des ONG, sont particulièrement actives pour détourner cette jeunesse de la mission qu’elle s’est donnée : la lutte pour la seconde indépendance.

Une Afrique jeune



L’Afrique a la population la plus jeune du monde. Le continent compte 200 millions de jeunes de 15 à 24 ans et ce chiffre devrait doubler à l’horizon 2045. Les moins de 15 ans forment 40 % de la population alors que les plus de soixante ans ne comptent que pour 5,5 %. Les deux tiers de la population ont moins de 30 ans et plus de 50 % ont une moyenne d’âge de 21 ans (1). De cette structure démographique découle une conséquence sur le marché du travail : « Si cette tendance se poursuit, la main-d’œuvre du continent sera d’un milliard de personnes en 2040. Ce sera la plus nombreuse au monde, dépassant celle de la Chine et de l’Inde (2). »

Cette jeunesse est également caractérisée par un chômage massif. Ainsi près de 60 % des chômeurs africains sont des jeunes et, dans la plupart des pays du continent, le taux de chômage des moins de 25 ans est deux fois plus important que celui des adultes (3). Il est par exemple de 23, 4 % en Afrique du Nord en 2009 soit 3, 8 fois plus important que celui des adultes. En Afrique du Sud, il est de 48 % soit 2,5 fois plus élevé que celui des adultes. Pour la grande majorité de ces jeunes, il ne reste que le secteur informel pour tenter de survivre. La pauvreté massive est en conséquence une autre caractéristique de la jeunesse africaine. En moyenne, 72 % des jeunes Africains vivent avec moins de deux dollars par jour et ce taux dépasse les 80 % dans des pays comme le Nigéria, l’Ouganda ou la Zambie (4).

Soulignons enfin que la jeunesse africaine est également de plus en plus instruite. N’en déplaise aux nostalgiques de la colonisation, l’accès à la scolarité est un des résultats des indépendances. Malgré la dégradation des conditions et de la qualité de l’enseignement, les gouvernements, mêmes les plus réactionnaires, hésitent, par peur des révoltes sociales, à remettre en cause l’accès à l’enseignement. Ils sont ainsi aujourd’hui 42 % des 20-24 ans à avoir reçu un enseignement secondaire. Une jeunesse de plus en plus importante mais également fortement touchée par le chômage, l’emploi informel et la pauvreté. Une jeunesse également plus instruite. C’est cette base matérielle qui explique le renouveau militant dans la jeunesse africaine.


Un nouvel âge politique



Le changement dans la place de la jeunesse n’est pas que quantitatif. Un processus qualitatif porteur de conscientisation est également à l’œuvre. On peut ainsi, selon nous, évoquer l’existence de « trois âges » de la jeunesse africaine. Chacun de ces âges a forgé son rapport au monde et son expérience politique dans un contexte particulier. Le premier âge est celui de la jeunesse des décennies 60 et 70 que nous pouvons qualifier de « jeunesse des indépendances ». Cette génération émerge dans un contexte de lutte des peuples africains pour l’émancipation nationale et sociale. Sur le plan de l’expérience, elle a connu la colonisation ou l’héritage immédiat de celle-ci. Sur le plan matériel, du fait des indépendances, elle connaît globalement (bien sûr de manière hétérogène d’un pays à l’autre) une amélioration de ses conditions d’existence (accès à la scolarité, à la santé, etc.). Sur le plan idéologique, elle se caractérise par l’anti-impérialisme et la volonté de « servir le peuple ». Un tel contexte est producteur d’un rapport au monde optimiste, d’engagements progressistes et d’une conscience anti-impérialiste et panafricaine.

Le second âge est celui des décennies 80 et 90 que nous pouvons qualifier de « jeunesse de la mondialisation et des plans d’ajustement structurel ». Cette génération émerge dans un contexte mondial marqué par la fin de l’URSS et par la victoire de la mondialisation capitaliste. Sur le plan de l’expérience, elle a connu la disparition successive des expériences progressistes africaines du fait des « coups d’Etat », des assassinats de leaders révolutionnaires, des contraintes du nouveau rapport de forces mondial. Sur le plan matériel, elle connaît les plans d’ajustements structurels et la paupérisation massive qu’ils produisent. Sur le plan idéologique, elle se caractérise par la croyance en l’économie de marché et à l’idéologie des « droits de l’homme ». Un tel contexte est producteur d’un rapport au monde fait de mimétisme de l’Occident, de débrouille individuelle, d’individualisme et d’une tendance au renoncement à la lutte politique collective.

Le troisième âge est l’âge actuel que nous pouvons qualifier de « jeunesse de la seconde indépendance ». Cette génération émerge dans un contexte mondial marqué par la multiplication des agressions impérialistes pour le pillage des richesses naturelles et par la faillite des choix libéraux mais aussi par le développement des puissances émergentes. Sur le plan matériel, elle connaît une « descente aux enfers » les cantonnant dans une « logique de survie ». Sur le plan idéologique, cette jeunesse renoue avec la mobilisation politique tout en n’ayant pas encore trouvé de canal d’expression de sa révolte. Elle expérimente en conséquence de nouvelles formes d’organisation et de contestation. Un tel contexte est producteur d’un rapport au monde fait de mobilisations collectives mais sporadiques, de radicalisations anti-impérialistes mais encore peu formalisées, de révoltes sociales ne parvenant pas encore à se transformer en révolution.

La jeunesse africaine est de nouveau confrontée à la découverte de sa « mission » pour reprendre l’expression de Frantz Fanon. De manière significative en Egypte, en Tunisie ou au Burkina Faso, les vastes mobilisations de la jeunesse ont été accompagnées d’une redécouverte des grandes figures des indépendances (Nasser, Sankara, N’Krumah, etc.). Même dans les pays qui n’ont pas connu ce type de mouvement, on assiste à une redécouverte de ces figures dans les chansons de Raps, sur les maillots, etc. Cette recherche d’un ancrage dans les luttes passées souligne la sortie d’une période de « haine de soi » et de fascination de l’Occident. Elle reflète également le développement d’une conscience, certes encore embryonnaire, de la nécessité de reprendre le combat des anciens. C’est pourquoi, il nous semble que l’expression la plus pertinente est celle de « seconde indépendance ». Cette expression est en effet apparue et a été théorisée dans la décennie 60 pour souligner la nécessité de parachever l’indépendance politique par une réelle indépendance économique.

Une jeunesse reprenant le chemin des luttes collectives, tendant à rompre avec la fascination de l’Occident et essayant de renouer avec les périodes antérieures du combat émancipateur, telles sont les deux caractéristiques dominantes de la jeunesse africaine.


Le rôle de détournement des consciences des ONG



Les grandes puissances sont lucides sur ces mutations de la jeunesse africaine. Elles sont conscientes des dangers que font peser ces changements pour leurs intérêts. Elles développent une politique ambitieuse de détournement des consciences par le biais d’ONG multiples et touchant tous les champs de la vie sociale. Le phénomène n’est pas nouveau mais connaît aujourd’hui une nouvelle impulsion en lien avec les nouvelles luttes de la jeunesse.

Dans la décennie 60 les USA et les puissances européennes ont déjà initié de vastes programmes « d’aide » portés par des ONG. Le panafricain Kwame N’Krumah a dès 1965 alerté sur le rôle néocolonial des ONG du Nord (5). Echanges universitaires, formations de syndicalistes, formation des leaders, etc., c’est tous azimuts que se sont développées des ONG visant à détourner la jeunesse de la conscience anti-impérialiste. Il en est de même aujourd’hui. Donnons quelques informations sur les caractéristiques de ces ONG :

D’une manière générale, les associations du tiers-monde ont peu voix au chapitre quand il s’agit de décider de l’orientation des programmes d’aide financés par le Nord. Seules 251 des 1 550 ONG associées au département d’information des Nations unies sont basées dans des pays en développement. Des études montrent également que, sur cinquante associations occidentales spécialisées dans le plaidoyer, seulement deux avaient effectivement consulté leurs partenaires du Sud avant d’engager une action en leurs noms (25). Les ONG du Nord affirment que les associations du tiers-monde ne sont pas assez solides pour se passer de leur encadrement (6). »

S’appuyant sur la précarité économique de la jeunesse, ces ONG offrent des places de survie aux leaders potentiels des luttes et les mettent ainsi sous leur dépendance. Les programmes d’échanges et de formations sont de plus de véritables mécanismes de formatage idéologique. A l’analyse politique et économique, ces formations substituent l’approche méthodologique et technicienne, la revendication politique est remplacée par la compassion humanitaire, l’organisation des premiers concernés est abandonnée au profit d’une dépendance vis-à-vis de l’aide. Il s’agit ni plus ni moins que de dépolitiser une jeunesse qui a d’abord besoin d’un outil politique pour organiser sa « mission générationnelle » comme le dit Fanon.

Mais les ONG ont également une fonction plus immédiate : celle de justifier les interventions militaires occidentales. C’est en s’appuyant sur des rapports « objectifs » d’ONG que se déploient des opérations de déstabilisation de gouvernements ayant commis le crime de s’éloigner de la ligne dictée par Washington ou par l’Europe comme, par exemple, de passer un contrat commercial avec une puissance émergente. Les mêmes rapports préparent également les opinions publiques à accepter l’arrivée de troupes étrangères comme solution aux crises. Le nouveau développement de l’action des ONG en Afrique n’est pas le fait d’une poussée de conscience humanitaire en Occident. Il reflète les nouvelles potentialités révolutionnaires de la jeunesse du continent et vise à les neutraliser et à les instrumentaliser. Comme dans la décennie 60, la jeunesse africaine est de nouveau confrontée aux tâches de formations politiques des militants et d’organisations des damnés de la terre.

Said Bouamama

Moctar le panafricain

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